Les Belles-Soeurs : L'après-choc
Scène

Les Belles-Soeurs : L’après-choc

Le Théâtre des Gens de la Place entend bien prouver que, plus de 40 ans après sa création, Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay demeure une pièce plus pertinente que jamais.

En août 1968, quand la pièce Les Belles-Soeurs de Michel Tremblay a été montée pour la toute première fois au Théâtre du Rideau Vert, une véritable onde de choc a parcouru le Québec. Jamais auparavant les ménagères des quartiers populaires de Montréal, leurs petits et grands malheurs quotidiens et leur langue, le joual, n’avaient été ainsi présentés sur les planches.

Quarante et un ans plus tard, entendre un "Moé, j’mange d’la marde, pis j’vas en manger toute ma vie!" n’ébranle évidemment plus personne, mais les thèmes abordés dans Les Belles-Soeurs, le petit monde qui y est dépeint et la façon dont Tremblay manie les mots demeurent toujours aussi fascinants.

"Les Belles-Soeurs correspond à un Québec qui est révolu, on n’a qu’à penser au lien à l’Église: le chapelet, la neuvaine, le Je vous salue Marie… C’est une vision très traditionnelle, avec une attitude très "on est nés pour un p’tit pain". Quelqu’un qui a du succès, il est perçu tout de suite comme un profiteur, comme quelqu’un dont il faut se méfier", explique le metteur en scène Luc Archambault. "L’intérêt, c’est de voir comment la pensée exprimée dans Les Belles-Soeurs se traduit aujourd’hui."

Car avouons-le: si notre société a indéniablement évolué en quatre décennies, la nature humaine, elle, ne change pas. "Quand Germaine gagne son million de timbres-primes, il n’y a pas de geste de partage spontané, ça reste dans la famille. C’est peut-être pour ça que les voisines se permettent cette espèce de vol collectif, suggère Archambault. Ça me fait penser un peu à la fin du Parfum de Süskind, quand le personnage se fait dévorer par ses pareils; Germaine, à cause de ses timbres, se fait pratiquement dévorer. On lui vole son rêve parce qu’on considère que ce n’est pas à elle, qu’elle n’y a pas droit, que ce n’est pas juste."

La religion catholique, par contre, n’est en effet plus au coeur des préoccupations des Québécois comme elle l’a déjà été: "Les Belles-Soeurs, ça marque un passage hyper important dans ce que l’on a vécu au Québec, mais aussi à l’échelle de la planète. La révolution de 1968, c’est tout un paquet d’événements à travers le monde qui ont été parallèles à ce qu’on a vécu ici. On n’est pas isolés; c’est juste qu’on partait de plus loin! Les gens ont arrêté d’aller à l’église en l’espace d’une saison. Ça s’est fait comme une traînée de poudre: pouf, voilà, c’est les vacances maintenant le dimanche! Dieu s’est reposé? Nous autres aussi, on dort!"

GERMAINE ET SES APOTRES

Fait étonnant: en 17 saisons, c’est la première fois que le TGP monte cette pièce charnière dans l’histoire de notre dramaturgie. "Tout le monde connaît le titre Les Belles-Soeurs, mais elle n’a pas été aussi vue qu’elle est connue", fait remarquer avec justesse Luc Archambault, qui a néanmoins voulu apporter une vision nouvelle de la pièce à travers sa mise en scène: "Le premier flash que j’ai eu, c’est un décor fermé. On joue sur 20 pieds de large avec un plafond à 10 pieds, et les panneaux s’en vont de plus en plus en forme d’entonnoir et le plafond descend. Ça donne vraiment l’impression qu’il n’y a pas de sortie."

"Puis je me suis dit que Les Belles-Soeurs, ça pourrait être comme La Cène, la fresque de Da Vinci, avec Germaine au milieu et tous les autres personnages assis à sa gauche et à sa droite, derrière une grande table. D’ailleurs, dans le traitement des personnages, on retrouve le Judas, le Thomas, le saint Pierre… Les personnages des Belles-Soeurs ont ces caractères-là des apôtres."

Archambault souligne par ailleurs que mettre en scène une pièce avec autant de personnages n’est pas de tout repos: "C’est un beau défi; c’est 15 personnes sur scène, Les Belles-Soeurs! Et chaque personnage a son importance, son cachet, son épingle à tirer du jeu."

"Heureusement, poursuit Archambault, on n’est pas en manque de bonnes comédiennes à Trois-Rivières. Ce qui a été plus difficile, c’est de gérer nos agendas. Anecdote pour anecdote, il y a quatre comédiennes de notre distribution originale qui ont dû se retirer à cause d’une grossesse… Quand même, monter Les Belles-Soeurs 40 ans plus tard et revivre un baby-boom!"

Parmi celles qu’on verra finalement sur scène, on trouve plusieurs vétéranes des planches: "Janine Lebel, qui joue Angéline, ça fait 60 ans qu’elle fait du théâtre. J’aimerais ça avoir 75 ans comme elle les a aujourd’hui; sa vitalité est incroyable. Rollande Lambert, qui tient le rôle de Germaine, ça doit faire 30, 35 ans qu’elle fait du théâtre… Ce sont toutes des femmes d’expérience, qui jouent dans une ou deux pièces par année depuis longtemps. Janine a déjà monté Les Belles-Soeurs avec les Compagnons de Notre-Dame, dans les années 1970!"

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