Fabien Cloutier : Il était une fois
Sur la scène du Grand Théâtre, l’auteur, interprète et metteur en scène Fabien Cloutier reprend Scotstown, un conte urbain long format où il est question des effets dévastateurs de l’ignorance.
La phrase est de Félix Leclerc. "L’ignorance a le mépris facile." Fabien Cloutier l’a placée en exergue de sa pièce publiée chez Dramaturges Éditeurs, parce qu’elle correspond à merveille à son personnage de villageois mal engueulé, dont on suit les abracadabrantes péripéties entre Scotstown, Montréal et Saint-Bernard de Beauce. "Personne ne fait le choix d’être ignorant, explique Cloutier. On devient ignorant parce qu’on n’est pas mis en contact avec la connaissance et la pensée, ou avec des réalités différentes de la sienne. C’est le lot des jeunes de plusieurs petites communautés en région, et de quelques quartiers de la grande ville. Et ça donne lieu à de l’homophobie, du racisme, de l’anti-intellectualisme. Il faut arrêter de croire que l’homophobie et le racisme ont disparu du Québec. Il y en a partout."
Voilà le dur constat que propose, en filigrane, le texte de Cloutier. Il est né à Sainte-Marie de Beauce, et des gars comme celui qu’il incarne dans Scotstown, il en a croisé des tonnes dans sa jeune vie. Des gars solides comme le roc, mais quand même sensibles sous leur carapace de préjugés et leur apparente violence. Même si son personnage est caricatural, il le trouve franchement réaliste. "Quand t’écoutes parler mon personnage, t’entends les années d’école qui lui manquent, t’entends son manque de références culturelles, mais malgré tout, son discours n’est pas bête. Ce type de gars-là, je trouvais que je ne le voyais pas assez au théâtre, et particulièrement pas à la télé. Et moi, le Québec me manque dans le théâtre québécois. J’aime sentir qu’on est ici, maintenant et que l’auteur a quelque chose à dire sur la société dans laquelle il vit."
Ce que le bonhomme lui permet aussi, c’est d’explorer une zone grise de l’humain, cet endroit où la violence rencontre la raison. Cloutier s’intéresse à ces moments fragiles où la violence peut exploser, quand elle cesse de se contenir et qu’elle menace de tout saccager. "J’ai envie de nous confronter à cette part de violence réfrénée, mais bien vivante à l’intérieur de chacun de nous. Il y a un jeu de résistance avec sa propre violence, et c’est ça que j’ai essayé de mettre de l’avant dans certains passages du spectacle."
Il n’y avait pas meilleure forme que le conte pour faire vivre le personnage. Au nombre de ses influences, il cite Michel Faubert et, bien sûr, Yvan Bienvenue, grand manitou du conte urbain. Scotstown est d’ailleurs né d’un court texte intitulé Oùsqu’y é Chabot?. Mais l’écriture de Cloutier se caractérise aussi par un très fort ancrage dans le territoire et dans une certaine mythologie québécoise, à coups d’apparitions du diable et d’autres événements surnaturels. "C’est dommage, il existe dans le milieu du conte au Québec une vraie résistance à la notion de personnage et à l’apport des outils de la scène. Quand j’ai commencé Scotstown, je l’envisageais vraiment comme un conte et je trouve que ces deux disciplines-là gagneraient à se côtoyer. Je provoque la rencontre."