Emmanuel Jouthe : Danse
À la tête de la compagnie Danse Carpe Diem depuis 1999, Emmanuel Jouthe compte parmi les figures les plus actives du paysage chorégraphique montréalais. Il travaille actuellement à sa nouvelle création, Cinq humeurs.
Quand j’ai débuté, il y a 10 ans, j’ai dû mettre beaucoup d’énergie sur la mise en place d’une structure administrative parce que c’était une condition d’accès à certaines subventions. Ça a fini par me désorienter et j’ai dû faire des choix pour mieux me concentrer sur la création. Aujourd’hui, je crois avoir trouvé un équilibre. La situation de ma compagnie n’est pas toujours florissante, comme pour beaucoup, mais je reste passionné, j’ai encore des choses à dire et du plaisir à créer. C’est positif.
Cette période a été marquée par une incroyable croissance démographique dans le milieu de la danse et par un renforcement de l’idéologie néolibérale sur le marché des arts et du spectacle. Selon moi, cela influence la création, tout comme le fait que nous avons beaucoup moins de temps qu’avant pour créer. C’est lié au manque d’argent, mais aussi au bombardement incessant d’informations qu’on n’a pas le temps de métaboliser. La création a besoin de temps pour mûrir. Quelle réponse peut-elle donner à cette société de vitesse et d’immédiateté? Et quelle saine proposition offrir quand c’est la grippe H1N1 ou un clown dans l’espace qui font les manchettes?
La prolifération de créations in situ fait partie des évolutions heureuses. Quand j’ai créé Vitrail dans une vitrine en 2003, j’étais encore très marginal. Aujourd’hui, c’est normal de créer en dehors des salles. On dirait même qu’ici, la nouvelle danse se définit plus par les territoires qu’elle investit que par un phrasé ou un propos. Le retour en force de Daniel Léveillé et la percée internationale de Benoît Lachambre et de Dave St-Pierre sont également très positifs.
Je pense aussi que la mort de Jean-Pierre Perreault a rassemblé le milieu autour de l’outil du centre chorégraphique qu’il avait fondé. Circuit-Est a pris une autre ampleur en héritant du lieu, Ginette Laurin et Marie Chouinard ont obtenu le leur, Benoît Lachambre a un projet en région… Et l’épicentre que constitue le Regroupement québécois de la danse nous permet, avec panache, d’exister sur le plan politique et social.
Malgré la programmation diversifiée de Danse Danse et le nouveau visage du Festival TransAmériques, le point noir de la décennie est indéniablement la perte du Festival international de nouvelle danse. Elle révèle, entre autres, l’incapacité des bailleurs de fonds à défendre une discipline qu’il est pourtant essentiel de financer.
– Emmanuel Jouthe