Evelyne de la Chenelière : Théâtre
Scène

Evelyne de la Chenelière : Théâtre

Depuis Des fraises en janvier, une pièce créée en 1999, la dramaturge Evelyne de la Chenelière pose sur la vie de ses contemporains un regard sensible et lucide. Cette année, l’auteure faisait son entrée au répertoire du TNM avec L’Imposture.

L’écriture dramatique québécoise trouve sa place dans nos théâtres… une quantité de voix et de paroles nouvelles ont pris d’assaut les scènes montréalaises, même au Théâtre Jean-Duceppe, l’a-t-on suffisamment dit, il y a davantage d’auteurs publiés, traduits, lus et montés ici et à l’étranger. On s’en réjouit. Avec raison, puisqu’il faut nous réjouir de l’acte créateur, qui est un acte généreux, courageux, engageant. On célèbre donc, depuis quelques années, "l’effervescence" du théâtre à Montréal.

Là où je cesse de me réjouir, c’est quand je constate que l’effervescence frôle l’hystérie. Le goût pour les nouveaux textes est tel que les auteurs sont poussés à écrire plus vite et davantage. En phase avec notre époque qui célèbre l’immédiateté, la nouveauté, la quantité, on crée vitement, bien sûr on note au passage, comme on parlerait d’une fatalité avec laquelle on n’a rien à voir, que les conditions de production ne sont pas idéales, mais tant pis, on croise les doigts et on espère que les spectateurs seront satisfaits. On a tellement peur que le théâtre soit exclu de sa cité, qu’il soit perçu comme s’adressant à "l’élite", qu’on assiste à une entreprise de séduction qui ne sert pas l’art (et qui ne sert pas non plus, à long terme, le spectateur). On encourage ainsi les spectateurs à avoir un rapport de consommation à la culture.

Alors il est de plus en plus fréquent qu’un spectateur, pour évaluer ou même simplement parler d’un spectacle, n’ait plus d’autres repères que ce qu’il a ressenti pendant la représentation. Il aura donc un sentiment de "satisfaction" s’il sent qu’il a été "touché" et qu’il s’est senti "concerné". Plus grave encore, certains critiques qui tendent à y aller du même discours, se limitant au billet d’humeur, nous font croire que ce regard sur l’art est juste, approprié, légitime et intelligent. Comment, si on se limite à ce type d’analyse, prétendre à une si grande "santé" de notre théâtre? Comment nous féliciter de cette profusion de pièces écrites chaque année sans nous demander pourquoi nous avons tant de mal à bâtir un répertoire québécois contemporain?

Raconter une histoire, même habilement, ce n’est pas, selon moi, de l’écriture. La véritable écriture ne peut pas être celle d’un théâtre "efficace" qui garantisse "satisfaction" au spectateur-consommateur. Je souhaite que, dans dix ans, notre constat ne soit pas limité à nous réjouir d’un "foisonnement" d’auteurs, mais qu’il atteste d’une dramaturgie qui s’inscrit dans notre littérature, faite pour durer, faite pour qu’on y retourne, faite pour en reconnaître la portée des décennies plus tard.

Evelyne de la Chenelière