Revue 2009 / Danse : Denses danses
Tandis que la programmation nous a laissé son lot habituel de joies et de déceptions, les seconds États généraux ont été le temps fort de 2009 pour la communauté de la danse.
Parmi les anniversaires fêtés cette année, les 20 ans du Studio 303 et les 25 du Regroupement québécois de la danse ont donné l’occasion de mesurer la vigueur et la résilience du milieu de la danse au Québec. Les seconds États généraux de la danse en ont souligné la maturité et la force de déploiement: on continue de déplorer le manque de financement et de vision de la part des pouvoirs publics, mais on se retrousse les manches pour exploiter au mieux les ressources existantes. L’ouverture toute récente de l’espace de création De Studio par Lynda Gaudreau est un magnifique exemple de cette réalité. Ainsi, l’offre de projets scéniques demeure très importante malgré l’adversité et toutes sortes de projets parallèles profitent au grand public.
Hors des sentiers battus
Entre autres, notons les Visages de la danse animés par Aline Apostolska, les conférences de Marie Chouinard et les activités ludiques et festives organisées dans des boîtes de nuit ou des salles de concert par les collectifs Wants&Needs et La 2e Porte à Gauche. Soulignons également l’habileté de David Pressault et de Line Nault à déjouer les codes habituels de représentation. L’un, avec l’univers onirique et prégnant de l’installation chorégraphique Corps intérieur. L’autre, avec l’audacieuse Problématique de l’erreur où elle crée en direct, en interaction avec un acteur-compositeur et une artiste visuelle-scénographe. Dehors, à l’occasion du Festival TransAmériques (FTA), le duo homme/pelle mécanique de Transports exceptionnels a suscité l’admiration et Le Grand Continental de Sylvain Émard a remporté l’adhésion générale.
De la diversité
Les efforts de la Cinquième Salle pour élargir le panorama de la danse contemporaine sont également à saluer. On y a revu le magnifique Norman de 4D Art, retrouvé les habitués que sont le Rubberbandance Group, Les Ballets C. de la B. et O Vertigo, et découvert des chorégraphes étrangères. Avec une deuxième édition de Destination Danse consacrée à la France, l’Agora nous a aussi donné la chance d’enrichir notre culture chorégraphique. L’une des pièces programmées figure d’ailleurs à notre Top 5, de même que H3, oeuvre à l’affiche du FTA qui a présenté une édition des plus éclectiques, prolongeant la vague de succès sur laquelle surfait déjà Frédérick Gravel. Et si le Jan Fabre a eu plutôt bonne presse, Körper de Sasha Waltz reste notre coup de coeur.
La pièce qui réunissait Sylvie Guillem, Robert Lepage et Russell Maliphant n’a pas répondu aux attentes. Sutra, de Sidi Larbi Cherkaoui, non plus: ses moines Shaolin ont eu beau séduire les foules, l’oeuvre relevait trop d’une mise en spectacle. La plus grande déception vient de l’alliance des monstres sacrés Akram Khan et Juliette Binoche, qui aura au moins donné à la danse un traitement médiatique d’envergure. Au chapitre des têtes d’affiche, Marie Chouinard a choisi l’intimité de son studio pour oser, à l’occasion d’une opération de levée de fonds, revenir en solo après 20 ans d’absence. Dave St-Pierre s’est offert une veillée funèbre mi-figue, mi-raisin à Tangente avec Over My Dead Body, mais il a triomphé au Festival d’Avignon avec Un peu de tendresse… Quant à José Navas, il a affirmé plus clairement son virage vers une danse formelle qu’on peut désormais qualifier de ballet contemporain.
Venu de Londres, l’Israélien Hofesh Shechter fait partie des heureuses découvertes de l’année, de même que le duo Delgado et Fuchs que Tangente a fait venir de Suisse. En plus des deux pièces à notre Top 5, le diffuseur qui devrait déménager bientôt dans le Quartier des spectacles nous a procuré quelques autres belles expériences. Parmi celles-ci, l’interactif 91/2 à part. présenté hors les murs par La 2e Porte à Gauche, l’audacieux et déstabilisant duo d’Ame Henderson et Matija Ferlin, et les premières chorégraphies prometteuses de Marc Boivin et Jacques Poulin-Denis. Pour rester dans les souvenirs agréables, mentionnons la marionnette-danseuse et la chute du décor dans Dark Matters de Crystal Pite et l’atmosphère étrange et sensuelle de Reservoir-pneumatic de George Stamos.
Côté classique, les Grands Ballets Canadiens de Montréal ont ajouté deux oeuvres à leur répertoire: Le Sacre du printemps, une création de Stijn Celis qui mérite de mûrir quelque peu, et la reprise de La Belle au bois dormant de Mats Ek, qui frappe par une vision parfois trop littérale. Quant à Antonio Najarro, il a merveilleusement remis au goût du jour le classique espagnol dans Jazzing Flamenco.
Enfin, on pleurera longtemps le décès des géants Pina Bausch et Merce Cunningham qui ont ému plusieurs générations de publics et inspiré nombre de vocations.
TOP 5 DANSE /
1. Le Cri (Compagnie Nacera Belaza / Agora de la danse)
Extase sensorielle. Cette pièce de la Franco-Algérienne Nacera Belaza éblouit par la sensualité et la transcendance d’une danse répétitive qui se déploie du minimalisme à la fulgurance. Génial.
2. Grand Singe (Tangente)
Présence extrême. Inspiré par un documentaire sur les primates, Nicolas Cantin livre une oeuvre brillante sur la rencontre entre un homme et une femme. Simple, drôle, intelligent.
3. H3 (Grupo de Rua / FTA)
Testostérone et sensibilité. Le Brésilien Bruno Beltrão dissèque le vocabulaire du hip-hop et en brise les codes pour une parfaite intégration à la scène contemporaine. Acrobatique et fascinant.
4. La Chambre blanche (O Vertigo / Cinquième Salle)
Patrimoine vivant. En recréant cette pièce de 1992 qui a marqué son parcours, Ginette Laurin prouve la pertinence de remettre en scène des oeuvres du répertoire québécois. Nécessaire.
5. L’Invasion du vide (Tangente)
Angoisse existentielle. Catherine Gaudet met en mouvement les difficultés relationnelles d’êtres en proie à un profond malaise dans une danse tout en états de corps. Une signature unique.