Christian Lapointe : La ligne du risque
Scène

Christian Lapointe : La ligne du risque

Christian Lapointe, menant le Théâtre Péril sur des chemins toujours exigeants, célèbre les 10 ans de sa compagnie. Pour l’occasion, un spectacle synthèse: Limbes, d’après des textes de William Butler Yeats.

Avec ses textes ou ceux des autres, du jeu masqué et du rituel à l’épure de l’interprétation ou à une esthétique provocatrice, Christian Lapointe étonne toujours. S’il bouscule parfois le spectateur, il en fait autant pour lui-même et pour ses collaborateurs. "Ça ne m’intéresse pas de répéter la même chose. Le langage d’un artiste, ce n’est pas l’application de recettes ou d’une forme figée: c’est de fuir le confort." Spectacle après spectacle, il forge une oeuvre cohérente qui, pour diverse qu’elle soit dans les esthétiques et les univers explorés, se distingue par une signature singulière. Ses constantes? La rigueur, l’audace, l’exigence, le refus du compromis.

Pour les 10 ans du Péril, Lapointe crée avec ses collaborateurs, dont plusieurs l’accompagnent depuis cinq ans, parfois plus, le spectacle Limbes, conçu à partir de trois courtes pièces de William Butler Yeats – Purgatoire, Calvaire, Résurrection, transposant au théâtre des moments mythiques de la vie du Christ -, auxquelles il ajoute quelques poèmes. Lapointe a traduit et réécrit ces textes; il les met en scène et joue, dans un spectacle ambitieux. "J’ai monté Yeats deux fois, et je me suis toujours rapproché, dans mon travail, d’un esprit de rituel. Après 10 ans, après Anky, où je suis arrivé au bout d’un projet artistique, j’ai eu envie d’y revenir pour regarder le langage qui s’est développé, et voir comment ça s’inscrit avec Yeats."

"En première partie, ce sont les textes de Yeats, que j’ai traduits. Après, ça recommence: j’ai réécrit les pièces, comme pour profaner la première partie. Si celle-ci est un théâtre cérémonial, sacré, on entre, avec la deuxième partie, dans une forme très bâtarde avec laquelle je me suis battu quand elle a commencé à apparaître. C’est une forme grotesque, avec plein de types de jeu qui cohabitent: c’est un peu comme la déchéance de notre monde, le miroir de notre société. Après, j’ai fait une autre réécriture, où on résout les deux premières versions. Évidemment, tout ça est très dense. Dans le premier tiers, je fais Yeats, le "père", le plus fidèlement possible, avec les outils que j’ai accumulés. Dans la deuxième partie, c’est comme brûler l’auteur. Dans la troisième, tout ça se résout dans un acte poétique très léger."

Puis, du même souffle, il ajoute: "Avec cette dernière écriture-là, comme auteur, j’ai l’impression d’accéder à une espèce de fluidité, où on dirait que j’ai pris Yeats, celui qui m’a mis au monde, avec qui je dialogue, et que j’ai réussi à l’avaler. À lui donner toute sa valeur, pour ensuite finir par passer outre. C’est un projet éminemment politique, même s’il est poétique. Parce qu’il débouche sur les grands enjeux du 21e siècle: la montée de la droite, les frasques de l’intégrisme religieux, la place de l’art…"