Jennifer Tremblay : L’emploi du temps
Jennifer Tremblay voit La Liste, son premier monologue pour le théâtre, portée à la scène par Marie-Thérèse Fortin et Sylvie Drapeau. Rien de moins.
Avec La Liste, un monologue publié aux éditions de la Bagnole, Jennifer Tremblay a remporté en 2008 le Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie théâtre francophone. Auparavant, la jeune femme originaire de la Côte-Nord avait écrit des poèmes, des nouvelles, des scénarios pour la télévision, un roman et des albums pour la jeunesse. Vous avez dit polyvalente?
"À vrai dire, j’ai commencé par écrire du théâtre. Depuis l’enfance, c’est la forme qui me passionne le plus. Quand j’avais 11 ou 12 ans, j’écrivais des dialogues dans l’espoir de les monter avec mes amis. Malheureusement, ça n’intéressait personne autour de moi." On peut dire que la situation a bien changé. Heureusement pour nous, 25 ans plus tard, Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, met en scène la première pièce de Jennifer Tremblay avec, pour lui donner corps, nulle autre que la comédienne Sylvie Drapeau.
"Tout le temps, quand j’écrivais La Liste, j’imaginais Sylvie, explique l’auteure. Depuis les années 90, je suis fascinée par elle. J’ai l’impression qu’elle prend toujours le texte par l’angle auquel on ne s’attend pas. Sylvie et Marie-Thérèse, c’est ce qui pouvait arriver de plus extraordinaire à cette pièce."
Tout se raconte
Jennifer Tremblay se décrit comme une obsédée de la forme. "Quand j’ai une idée, un petit germe, je me demande toujours quelle serait la forme qui ferait en sorte que cette idée-là soit le mieux exploitée. En fait, j’ai l’impression que tout se raconte. Que tout est intéressant à raconter. Il faut juste le faire dans le bon contexte et de la bonne façon."
Au coeur de La Liste, il y a donc un récit, l’histoire banale (au sens de quotidienne) et pourtant tragique d’une femme rongée par la culpabilité d’avoir "laissé mourir" une voisine ou plutôt de ne pas avoir pu lui éviter la mort. Se préoccuper de l’autre, prendre de ses nouvelles, être concerné par elle ou lui, est-ce vraiment le genre de gestes qu’on peut placer sur une liste de choses à faire? Dans un emploi du temps?
Mise en procès
"Il fallait que cette femme rencontre les gens, estime Tremblay. Qu’elle parle, qu’elle se raconte. Pour moi, c’est comme un procès. La pièce parle de la responsabilité avec un grand R. La très inspirante conseillère dramaturgique du spectacle, Charlotte Farcet, parle même de la Shoah. La question fondamentale, c’est: qu’est-ce qui fait qu’une tragédie se déroule tout près et que personne ne réagit? C’est un problème très contemporain, à mon avis. On est très concentrés sur notre travail, nos besoins, mais on ne se questionne pas beaucoup sur les voisins."
En démarrant l’écriture, la jeune auteure – et, il faut le dire, maman – n’avait pas le moins du monde le sentiment qu’elle allait aborder autant de thèmes (maternité, culpabilité, féminitude, aliénation, désistement masculin…) et susciter autant d’intérêt. "Ce qui m’étonne le plus, c’est la réaction des gars, et même des jeunes hommes. Quand un jeune homme de 24 ans qui n’a pas d’enfant, qui habite sur le Plateau et qui est un artiste vient me voir, très ému, pour me dire qu’il vient de comprendre sa soeur ou sa mère à travers mon texte, ça fait un choc!"