Julie Vincent : Mémoire vive
Au terme d’une longue démarche d’écriture et d’une aventure artistique en Uruguay, Julie Vincent dévoile Le Portier de la gare Windsor, une histoire de mémoire, d’exil, d’identité, de soulèvements populaires, d’architecture et d’amour, entre Montréal et Montevideo.
La gare Windsor est l’une de ces gares dont l’histoire suinte à travers les murs malgré les annexes bétonnées qu’on y a construites plus tard, la séparant des chemins de fer et de l’activité d’une bonne partie des voyageurs en transit. Plusieurs y passent encore furtivement avant d’attraper le train de banlieue, comme Julie Vincent, qui se plaît à arpenter quotidiennement le long couloir de la salle des Pas-Perdus. Elle y a développé un vif intérêt pour l’architecture, doublé d’une grande préoccupation pour "la détérioration de la beauté dans la ville."
Comme les automatistes et les surréalistes, elle croit à la culture du hasard. "C’est parce qu’on est devenus des gens d’affaires qu’on n’accorde plus d’importance au hasard dans nos vies. Le hasard est pourtant un espace poétique extrêmement épanouissant." Comme pour lui donner raison, elle rencontre un jour un homme dans un café. Il lit Rainer Maria Rilke. Elle trouve qu’il ressemble à Fernando Pessoa. "Je suis architecte, lui dit-il, mais considérez-moi comme un vagabond."
Elle avait trouvé son personnage. Au fil des conversations, elle apprend à connaître cet homme dont l’histoire personnelle la chamboule. Exilé uruguayen débarqué au Québec après le coup d’État de 1973, il est devenu traducteur après quelques douloureux épisodes xénophobes. Cette histoire, qui l’a complètement habitée et qu’elle a traquée jusqu’en Uruguay sur les lieux mêmes de la jeunesse de son personnage, Vincent ne la racontera pas intégralement. Mais elle a déclenché en elle une réflexion sur la mémoire, l’engagement, l’identité.
"À travers le thème de l’architecture, je revisite le passé récent du Québec et de l’Uruguay. Quand on parle des années 70 au Québec, on le fait toujours avec émotion, parce qu’il faut constater l’échec de ces années-là. J’ai voulu y retourner sans nostalgie. Je m’attache à la mémoire dans la mesure où elle me fait avancer dans le présent."
Au final, la pièce tisse des liens entre Montréal et Montevideo, entre les soulèvements populaires des années 70 au Québec et la grève étudiante de 2005, entre les identités fragiles des peuples québécois et uruguayens (tous deux entourés de voisins imposants). "Avec mon architecte vagabond, j’ai beaucoup discuté du sentiment d’être pris entre deux identités, dans une sorte d’ambiguïté. Ça m’a fait écrire le personnage de Claire, une femme qui ne réussit à assumer son talent qu’avec le soutien de la partie anglophone, en demandant le soutien du voisin écrasant, en quelque sorte."
"Il y a aussi des références à Claude Gauvreau et Gaston Miron. Le personnage principal est un traducteur, et comme les poètes québécois ont été une nourriture pour l’aider à traverser les souffrances de l’exil, j’ai voulu témoigner de ça, je trouvais ça très beau." Tout ça prendra forme sur scène de manière elliptique, cinématographique, avec des accents de tango et beaucoup de musique. Avec Stéphane Blanchette, Jean-François Casabonne, Geneviève Rioux, Noémie Godin-Vigneau, Francesca Barcenas, Victor Andrès Trelles-Turgeon, Jean Maheux et Éric Robidoux.