Alexis Martin : À coeur ouvert
Avec Sacré Coeur, le comédien et metteur en scène Alexis Martin se frotte au monde de la médecine en compagnie de l’urgentologue Alain Vadeboncoeur.
Alexis Martin et Alain Vadeboncoeur se connaissent depuis la tendre enfance. Voisins dès l’âge de six ans, les deux gamins deviennent rapidement complices, communiquant en morse des deux côtés du mur mitoyen qui les sépare. Puis, vient l’adolescence et les copains se perdent de vue. Alexis s’oriente vers le théâtre et Alain fait sa médecine. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard que le tandem reprend contact. Aujourd’hui, les deux hommes présentent Sacré Coeur, une création qu’ils ont écrite en étroite collaboration au cours des derniers mois. En plus de diriger le spectacle, Alexis Martin partage la scène avec Stéphane Demers, Édith Paquet, Muriel Dutil et Jacques L’Heureux.
Sacré Coeur, c’est une nuit à l’urgence d’un grand hôpital de Montréal. Une nuit au cours de laquelle un urgentologue (Demers) est aux prises avec plusieurs cas lourds. Alors que nous, spectateurs, jouons le rôle des patients dans la salle d’attente, le personnel médical se débat sous nos yeux pour sauver des vies. Selon Martin et Vadeboncoeur, toutes les histoires sont inspirées de cas vécus. "On a intégré au spectacle des anecdotes médicales que j’ai moi-même vécues, affirme Vadeboncoeur, urgentologue à l’Institut de cardiologie de Montréal. Plusieurs de mes collègues nous ont aussi raconté des expériences marquantes qu’ils ont affrontées dans l’exercice de leurs fonctions. Puis, Alexis et moi avons visité des urgences et avons parlé aux patients pour construire des personnages à partir de ces rencontres. On a gardé les histoires les plus significatives, celles qui tournent autour d’aspects fondamentaux tels que la vie ou la mort." "Ce qui nous intéressait, continue Martin, c’était l’aspect métaphysique des urgences, ce lieu où des gens meurent, tandis que d’autres survivent." Durant cette nuit mouvementée, l’urgentologue vivra de son côté un drame personnel. "Un événement grave qui va changer sa vie, précise Vadeboncoeur. Le spectacle est très réaliste mais il contient aussi des contrepoints plus poétiques. Et on y trouve également de l’humour. Parce qu’il y a beaucoup de fous rires dans les urgences." Un psychiatre fera également quelques apparitions sur les écrans de télévision de la salle d’attente théâtrale afin de nous aider à bien vivre la soirée.
SUR LE TERRAIN
Les 33 scènes de Sacré Coeur ont donc été imaginées et écrites à l’aide de matériel brut. Alexis Martin explique: "Depuis quelques années, Daniel Brière et moi essayons de bâtir des spectacles en s’inspirant d’une démarche "anthropologique". On va sur le terrain pour recueillir l’information. Le spectacle avec Alain entrait dans cette mouvance." Mais l’élément qui a mené à la création de cette pièce vient d’un commentaire que Vadeboncoeur a lancé à Martin: "Un jour, on discutait et Alain m’a dit: "Maudit que les comédiens ne savent pas mourir sur scène! Ou bien ils en font trop ou bien ils n’en font pas assez." On a alors eu l’idée de monter un spectacle où un médecin montrerait à un comédien comment mourir! Puis on a élargi le concept au monde de la médecine."
Selon Alexis Martin, toute l’équipe a plongé tête première dans cet univers à première vue hermétique. "La femme d’Alain, qui est infirmière, est venue aux répétitions pour montrer aux comédiens comment intuber ou comment faire un massage cardiaque." "Dans les dialogues, ajoute Vadeboncoeur, on a conservé le jargon propre à la médecine. Les comédiens ont appris les vrais gestes de réanimation. Ils apprennent plus vite que les étudiants en médecine!"
UN SACRÉ COEUR QUI A DU VÉCU
L’hyperréalisme de Sacré Coeur a la qualité de susciter le dialogue, du moins si l’on en croit Alexis Martin, qui a discuté avec de nombreux spectateurs depuis le début des représentations à Montréal en 2008. "Ces conversations-là sont toujours très intéressantes. L’effet de réel est très fort, alors ça plonge bien des gens dans leurs propres souvenirs. Dans nos discussions, ils font référence à leurs propres expériences dans les hôpitaux, mais les conversations sont aussi très souvent philosophiques, à propos de l’inéluctabilité de la mort." Cela dit, avec le temps, la dimension poétique de la pièce a gagné du terrain. "C’est bien de jouer ce spectacle longtemps, explique-t-il encore, parce qu’il est comme un élastique. Au début, on ne jurait que par le souci de réalisme, puis graduellement, on a voulu créer une tension entre la facture documentaire et la poésie de la démarche. On a grossi et théâtralisé certaines situations."
De nouveaux acteurs ont aussi remplacé certains des comédiens qui ont créé la pièce, révélant de nouvelles facettes du texte en s’appropriant leurs personnages. "Au début, Hélène Florent jouait le rôle de l’infirmière avec beaucoup de sensibilité. Édith Paquet, qui l’a remplacée, en fait un personnage plus noir, et ça tient vraiment bien la route. Même chose pour Stéphane Demers, dont le médecin est plus arrogant et plus cassant que celui que jouait Luc Picard. Les rapports de force entre les personnages sont plus violents. Ça donne une nouvelle couleur." (Philippe Couture)