La Liste : Monologue intérieur
Scène

La Liste : Monologue intérieur

La comédienne Marie-Thérèse Fortin ne se risque pas souvent à la mise en scène. Dommage. Avec La Liste, de Jennifer Tremblay, elle fait preuve de savoir-faire et de maturité artistique.

Avant de se mesurer à l’écriture dramatique, l’auteure Jennifer Tremblay a visiblement attendu de nombreuses années. Ça se sent. Économe, calculé, précis et poétique, le monologue duquel elle a accouché est d’une grande richesse. La tragédie s’y dessine doucement, avec grande finesse, dans les mouvements de pensée d’une femme brisée, qui déballe tout par petites touches, par listes interposées et par récits enchevêtrés, laissant ici et là quelques zones d’ombre et ne débordant jamais dans le superflu.

Il y a dans ce texte une enfilade de listes qui ne semble jamais pouvoir s’arrêter. Mais elles ne sont que la pointe d’un plus gros iceberg, que le pic apparent d’une montagne d’amertume et d’exaspération. Elles sont le prolongement des détresses de cette femme obsédée par le rangement, attristée de la sécheresse de son village et solitaire comme l’arbre qu’elle regarde par la fenêtre. Que du noir, certes, mais duquel émergent des traces de lumière, des résidus d’amour parental et surtout, des bribes d’amitié. Le drame se trouve d’ailleurs là, dans la négligence dont s’accuse la femme par rapport à une amie qui connaîtra un triste sort. Sur sa dernière liste, elle inscrira: "Ressusciter Caroline".

Pour rendre justice au rythme saccadé de l’écriture, la metteure en scène Marie-Thérèse Fortin a choisi d’opérer un juste découpage. Le texte est traité comme une matière sonore, une partition dont les mots doivent résonner et être entendus pour ce qu’ils sont. On y ressent la poésie et la lumière, mais aussi, dans les interstices de la voix, la grande fragilité du personnage. Par là est évité le piège de l’émotion facile, mais surtout celui de la rapidité et de l’excitation que la forme du texte aurait pu suggérer. Sylvie Drapeau y est à son aise, prodigieuse, précise et touchante. Il fait bon de la voir évoluer dans ce registre, loin de l’exacerbation de quelques-uns de ses récents personnages au Théâtre du Rideau Vert.

Du côté domestique des listes, Fortin a récupéré quelques images fortes qu’elle fait apparaître sur scène de manière poétique, énigmatique et de plus en plus cauchemardesque. Des pommes et des robots culinaires baignés d’une étrange lumière surgissent des armoires et ponctuent le monologue de leur inquiétante tyrannie, comme un horrifiant leitmotiv.