Boucar Diouf : Raccommodements raisonnables
L’Africassé-e: premier plat typiquement afro-québécois, mitonné par Boucar Diouf. Échange gouleyant avec un humoriste qui cuisine et qui coud.
Demandons directement à Boucar Diouf s’il ne craint pas, en intitulant son deuxième spectacle L’Africassé-e, de se peinturer dans le coin, de devenir l’immigrant de service? L’humoriste, tout sourire, assuré, répond posément à une question qu’on ne lui pose visiblement pas pour la première fois. "On fait un spectacle à partir de son histoire. Je parle de l’immigration, du choc culturel, parce que c’est ça ma vie. Je ne peux pas écrire sur Passe-Partout! Regarde combien il y a d’humoristes au Québec. Tout le monde pige dans le même panier, constate-t-il. "La dernière fois que je suis allé à l’hôpital", "ma blonde et moi…" Combien de fois on l’a entendu? De toute façon, Dany Laferrière a gagné le prix Médicis et il écrit toujours sur le même sujet!"
Malgré ce qu’il suggère, Diouf emboîte le pas à ses collègues en racontant sa vie de couple, qu’il transporte sur scène en invitant sa compagne, la musicienne Caroline Roy. Quiproquo de PH de piscine? Pas exactement. Anecdote: "Quand tu viens d’un pays macho comme le Sénégal et que ton épouse gaspésienne dit "NOUS sommes enceintes" en voyant un trait rouge sur son test de grossesse, c’est drôle, quoi. Faut que tu en ries, parce que c’est tellement loin de toi."
Du fil, des aiguilles et du coton
Nous faisons remarquer à Boucar Diouf qu’à notre sens, le déluge de blagues équivoques fut un des dommages collatéraux les plus irritants de la crise des accommodements raisonnables. Le biologiste, en éternel pacificateur, tente dans son récent spectacle de réparer les pots cassés. "Je ne fais pas de millage sur les accommodements raisonnables, assure-t-il. Ce que je préconise, c’est une solution: les raccommodements. On pense qu’on a enterré ça, mais ce n’est pas vrai. La gestion de la diversité culturelle, c’est le défi de ce siècle pour l’Occident. Les Africains disent que pour régler une dispute, il est préférable de choisir une aiguille qui coud plutôt qu’un couteau qui tranche. Plusieurs humoristes ont abordé les accommodements avec un couteau qui tranche. J’essaie de raccommoder parce que pour moi, le Québec est une courtepointe culturelle."
Aphoriste prolifique, toujours un proverbe à la bouche pour synthétiser les vicissitudes de l’existence, Diouf triture la langue et en fait même la matière première de certains de ses numéros. "J’ai grandi dans un univers où l’humour était toujours véhiculé par le proverbe, la façon la plus courte de raconter une histoire."
Des traits d’esprit rappelant la candeur de Sol et l’humanité de Senghor mis dans la bouche de son grand-père, érudite figure tutélaire dont il nous dévoile la vraie nature. "On me dit souvent "Ton grand-père devait être sage", mais c’est un archétype. J’ai assemblé un grand-père composite et idéal. Quand mon grand-père parle, la plupart du temps, c’est Boucar qui parle. Je l’appelle en renfort pour dire des choses que je n’assume pas moi-même."