Limbes : Mourir pour mieux renaître
Avec Limbes, Christian Lapointe s’attaque à l’un des sujets les moins sexys qui soient, la vie du Christ. Le résultat est une épreuve dont on sort transformé.
Ce n’est pas tous les jours que les mots de William Butler Yeats retentissent sur une scène québécoise. Les oeuvres du poète et dramaturge irlandais, Prix Nobel de littérature en 1923, mort en 1939, sont pour le moins… exigeantes. Que Christian Lapointe ait osé traduire, adapter, récrire et mettre en scène trois de ses pièces – Purgatoire, Calvaire et Résurrection – tient de l’exploit. Juste pour ça, le jeune créateur mérite qu’on lui lève notre chapeau.
Avec Limbes, le directeur du Théâtre Péril, fondé il y a déjà dix ans, retrouve un maître à penser. Comme Yeats, Lapointe est fasciné par la spiritualité et le symbolisme, mais il est surtout, comme son mentor, doté d’une précieuse capacité d’indignation. Dans le programme, il écrit: "Fatigué d’assister au nivellement par le bas à l’infini, à la dictature du gavage de la nation de stupidités et de facilités." Hors de tout doute, nous avons affaire à un résistant, un artiste dont les réalisations sont en quelque sorte des manifestes, des actes de foi.
Après C.H.S. et Anky, des objets épurés, implacables, Lapointe revient aux fondements de sa pratique pour offrir un spectacle complexe, dans le meilleur sens du terme, mais aussi, il faut en convenir, un brin rébarbatif. Limbes, c’est l’histoire de Jésus de Nazareth, de sa crucifixion à sa résurrection. Il y a le Fils, le Père, Lazare, Judas, le Juif, le Syrien et le Grec. Vous voyez le tableau? L’histoire n’est pas nouvelle. Même qu’elle ne cesse de se répéter. C’est aussi de cela qu’il est ici question. Des erreurs qu’on ne cesse de commettre. La race humaine est fondamentalement aveugle, aveuglée. Avec Limbes, on pourrait croire que Lapointe cherche à lui rendre la vue.
À vrai dire, l’intérêt réside dans la manière de revisiter le mythe. D’abord, il y a la langue de Yeats, d’une souveraine poésie. Puis il y a le jeu masqué du théâtre nô, les voix altérées et la musique orientale en direct. Un univers parfois agaçant mais toujours cohérent. La représentation offre trois grandes articulations. La première campe le récit. Dans la deuxième, déconstruction de la première, on perçoit les préoccupations de notre époque, les affres de notre ère, les ruines de nos cités capitalistes.
La troisième portion, futuriste, portée par de superbes images d’âmes en pleine ascension et d’incantations chorales sur vidéo, donne un sens nouveau à tout le périple. Le spectacle se referme sur un espoir, celui de la réunification des peuples. "Alors laissez-nous donc en paix, Jésus-Christ, Abraham et Mahomet." Inspirant.