Misteur Valaire à Temps d'images : Les temps modernes
Scène

Misteur Valaire à Temps d’images : Les temps modernes

Entre les murs de l’Usine C, la 5e édition du Festival Temps d’images bat son plein. Au menu: danse, théâtre, performance, musique, projections et installations. On en discute avec le groupe Misteur Valaire, le compositeur et cinéaste belge Thierry De Mey et les directrices artistiques Danièle de Fontenay et Sylvie Teste.

Blâmons les astres, la fougue du quintette ou l’attitude juvénile de ses protagonistes, Misteur Valaire trouve toujours le moyen de transformer un simple concert en aventure délirante. En 2007, la scène du Café du Fjord, à Tadoussac, s’était carrément affaissée neuf minutes après le début de la prestation. Un an plus tard, lors de la Nuit blanche du Festival Montréal en lumière, le groupe électro-jazz originaire de Sherbrooke mettait le bordel dans le hall d’entrée de la prestigieuse Salle Wilfrid-Pelletier. Quelques centaines de fêtards s’y sont entassés, bravant même l’interdiction de fumer, pour danser jusqu’au lever du soleil. La magie s’est ensuite répétée lors de quelques spectacles à guichets fermés au Club Soda, où Misteur Valaire s’est produit entouré de vieilles télévisions.

Pour une dernière fois à Montréal, ce même concert sera présenté le 30 janvier dès 20 h 30, lors de la Nuit musicale du Festival Temps d’images, à laquelle participeront aussi l’hypnotique collectif montréalais TIND et les dessinateurs-musiciens-bricoleurs du duo français derrière Stéréoptik. "Parce que le Festival invite de nombreux artistes de partout dans le monde, tous unis par leur approche artistique inventive, différente, faire partie de la cinquième édition de Temps d’images est un honneur", explique Luis Clavis, percussionniste de Misteur Valaire. "En plus de la musique, notre concert comptera sur deux types de projections: celles derrière la scène et celles diffusées via les télévisions. On va jouer des pièces de notre dernier disque (Friterday Night, offert gratuitement sur le Web) et quelques nouvelles chansons du prochain album."

Le gratuit? Et après…

Attendu pour le mois de mai, le nouveau disque "moins jazz, mais toujours dansant" de Misteur Valaire est déjà offert en prévente sur le site du combo (mv.mu). Pour 15 $, l’internaute recevra la version numérique du gravé deux semaines avant sa sortie. Pour 25 $, il recevra l’album physique par la poste en plus de la version numérique. Pour 35 $, c’est la totale: le CD, les mp3 et un billet pour le lancement.

Alors que le groupe se pète les bretelles – avec raison – d’avoir donné 40 000 téléchargements de Friterday Night, un "disque dur d’or", pour reprendre son expression, cet exercice de prévente représente un test important. Combien des 40 000 fans seront prêts à débourser de l’argent pour se procurer la troisième parution de Misteur Valaire? "On n’a pas vraiment d’attentes face à cette prévente, confie Luis. On ne se fie pas uniquement là-dessus pour produire notre nouvel album. C’est plus un moyen qu’on offre aux gens de nous aider, de s’investir dans la préproduction du compact. Tu sais, comme les fans n’ont pas payé pour Friterday Night, certains d’entre eux veulent nous faire des dons, d’autres ont acheté le disque en magasin ou en concert même s’ils l’avaient déjà téléchargé gratuitement." Bien qu’il refuse de donner des chiffres (on a tout essayé…), Luis confirme le succès de la démarche. "Disons que la majorité des gens optent pour le forfait à 35 $, ce qui nous pousse à envisager le lancement au Club Soda pour accommoder tout le monde."

À ce stade, Misteur Valaire ignore encore comment il commercialisera la galette. Il y a bien quelques pourparlers avec certaines étiquettes de disques, mais considérant le succès de l’entreprise Friterday Night, la formation ne se ferme aucune porte. "Si on n’arrive pas à s’entendre avec un label, on pourrait le lancer en indépendant, ou même l’offrir en téléchargement gratuit. C’est de nos concerts qu’on tire la grande majorité de nos revenus."

En attendant le verdict, les musiciens se rendront dans l’Ouest canadien pour se produire en marge des Jeux olympiques de Vancouver, de quoi revêtir leurs habits de neige aux couleurs de l’unifolié, et de peut-être assister à un match de hockey. "L’équipe de bobsleigh jamaïcaine nous intéresse également, blague Luis. Sérieusement, on aimerait bien voir quelques compétitions, mais je pense qu’on donne quatre concerts en cinq jours. Certains sont à Whistler, d’autres à Vancouver. On ne va pas là pour jouer les touristes… Tu sais si les athlètes féminines asiatiques participent aux Jeux d’hiver?" La stratégie serait, bien sûr, de les déconcentrer avant les compétitions. Go, Canada, go!

ooo

Le corps musicien

Le compositeur et cinéaste belge Thierry De Mey dissout les frontières entre danse et musique avec Light Music, une oeuvre de lumière et de son jouée par un chef sans orchestre. Un merveilleux produit des intelligences artistique et technologique présenté les 4, 5 et 6 février à 19 h et 21 h 30.

Le percussionniste Jean Geoffroy est seul sur scène, plongé dans le noir. On ne voit que ses mains dans une fenêtre de lumière. Une caméra capte ses mouvements et les transforme en sons et en images par un processus informatique complexe. "C’est un geste musical sur un instrument fait de points lumineux car la caméra détecte les mouvements des points lumineux et agit comme une matrice de déclenchement, explique De Mey. Parfois, le musicien agit comme s’il manipulait un instrument et génère des sons. Parfois, il déclenche des séquences préenregistrées ou gère l’avancement du programme informatique. À cela s’ajoute une couche visuelle car ce qu’il fait avec ses mains est projeté sur un écran derrière lui. Il est à la fois acteur, danseur, calligraphe et musicien."

Est-ce de la danse ou de la musique? La question s’est posée plus d’une fois face à une oeuvre de De Mey, et plus particulièrement en 2002 avec Silence Must Be! où le chef d’orchestre, face au public, battait le rythme d’une musique dessinée dans l’espace avec les mains. En silence. L’acte ne semble pas si paradoxal quand on sait que le mouvement est à l’origine même de l’écriture musicale et cinématographique de ce créateur qui collabore avec divers chorégraphes dont sa soeur, Michèle Anne De Mey, et ses célèbres compatriotes Anne Teresa De Keersmaeker et Wim Vandekeybus.

"Voir des mouvements, de danseurs ou de gens dans la rue, stimule en moi l’envie de composer et génère pratiquement la perception de partitions rythmiques de sons et de musiques, indique-t-il. Je pense la musique comme une dramaturgie du mouvement. Dans ma création musicale comme dans mes films, je compose du mouvement." Considérant la musique comme une globalité plutôt que de l’analyser en séparant les notions de rythme, d’harmonie, d’instrumentation et de mélodie, De Mey oeuvre activement pour que la danse contemporaine ne se déconnecte pas de la musique et que la création par ordinateur n’éradique pas toute dimension corporelle de la musique.

"Un compositeur met des points sur le papier et c’est un interprète, qui vient avec tout son capital de mouvements, qui va relier ces points en une ligne et faire exister l’oeuvre, soutient-il, posant le mouvement comme dénominateur commun de la danse et de la musique. Pour moi, le sens musical est lié à cette capacité de faire le lien par le mouvement entre des éléments séparés."

Pour mieux saisir la démarche et le parcours de cet artiste, Temps d’images offre une rencontre-atelier et des projections de films avant et après le spectacle – qui ne dure qu’une vingtaine de minutes. On découvrira comment il a fait danser pour la première fois les mains de trois percussionnistes dans Musique de tables et comment la danse contemporaine peut raconter des histoires dans 21 études à danser. Ensuite, Ma mère l’Oye présente diverses chorégraphies en forêt sur la musique de Ravel et Dom Svobode, les danseurs du Slovène Iztok Kovac suspendus à une quarantaine de mètres sur des falaises alpines. Un programme riche et stimulant. (F. Cabado)

ooo

Deux fins de semaine éclectiques

Temps d’images célèbre le 5e anniversaire de son édition montréalaise dans l’esprit rebelle et éclectique qui l’a toujours caractérisé, privilégiant des artistes qui, en utilisant les technologies et les écrans, cherchent à déjouer la linéarité et à remettre en question les codes scéniques. Ce sera festif et immersif, car plus que jamais, les directrices artistiques Danièle de Fontenay et Sylvie Teste veulent que les salles et les corridors de l’Usine C soient assaillis de toutes parts.

Semaine 1: les lois de l’interaction

Dans Big 3rd Episode, le délirant collectif franco-autrichien Superamas scrute les mécanismes de notre obsession du bonheur, sur une scène divisée en trois espaces-temps qui se chevauchent et se toisent, liés par des séquences vidéo remplies d’humour, de cynisme et de lucidité. Sylvie Teste: "C’est une construction à la fois scénique et cinématographique. Il faut voir ce spectacle en se réservant du temps de macération, le construire et le penser à mesure qu’il évolue. Les Superamas jouent sur les clichés, à l’aide de situations caricaturales. Sous des dehors très mode, ils égratignent tout. Le vernis craque, et ça déraille."

L’Australien William Yang, lui, s’amuse à interagir avec des images en mouvement sur un écran. D’origine chinoise, il nous invite à une traversée photographique de la Chine contemporaine en ébullition, qu’il commente sur fond de musique traditionnelle chinoise interprétée en direct par le musicien Nicholas Ng. "C’est un brillant conteur, dit de Fontenay. Il y va par petites touches, les images sont présentées à l’aide d’une narration tronquée et cinématographique."

Temps d’images, c’est aussi l’occasion de voir des créations québécoises en chantier, de pénétrer l’imaginaire d’artistes dont les oeuvres sont encore en plein développement. Dans La Problématique de l’erreur, la chorégraphe Line Nault cherche à confronter trois disciplines artistiques en plaçant avec elle dans un même espace un musicien et un photographe, se demandant "comment créer de nouveaux territoires de création en expérimentant une discipline qu’on ne maîtrise pas". Emmanuel Madan et Alexander MacSween vont créer Ground, une oeuvre interactive dont on ne sait pas encore grand-chose, sinon qu’ils y explorent "les vibrations des champs magnétiques".

ooo

Semaine 2: illusion d’optique

L’événement de la deuxième semaine est sans contredit le retour d’Une fête pour Boris, nouveau spectacle de Denis Marleau qu’on a vu au dernier FTA. Allez-y pour savourer les mots stridents de Thomas Bernhard et la performance irréprochable de la comédienne Christiane Pasquier, mais surtout pour l’hallucinante apparition d’automates aux visages animés au dernier acte.

La déambulation est aussi au programme. Dans Étiquette, par exemple, des spectateurs obéissent à des consignes transmises par casque d’écoute, sous le regard amusé ou intrigué des passants dans le hall de l’Usine. Finalement, les Français Romain Bermond et Baptiste Maillet proposent Stéréoptik, "une sorte de dessin animé construit en direct, en utilisant toutes sortes de matériaux". Sylvie Teste ajoute que "c’est de toute beauté, poétique, inventif et très onirique". (P. Couture)