Grayson Millwood : Danse de mort
Grayson Millwood est l’un des trois chorégraphes-interprètes du collectif australien Splintergroup à l’origine d’un thriller de danse-théâtre intitulé Roadkill.
Un soir de 2006, les chorégraphes-interprètes Gavin Webber et Grayson Millwood arrêtent leur voiture en pleine nuit dans une zone déserte de l’arrière-pays australien. Ils sortent des lampes de poche et tentent de se faire peur mutuellement. L’expérience fait partie du processus de création collective qu’ils viennent d’entamer avec Sarah-Jayne Howard. "Il n’y avait pas de voiture à l’horizon, aucune lumière, le paysage était plat et on pouvait voir au loin sur 360 degrés, raconte Millwood. Étonnamment, la chose la plus effrayante était l’idée de voir surgir quelqu’un de la nuit."
Pièce de danse-théâtre, Roadkill met en scène un couple qui tombe en panne dans le bush près d’une cabine téléphonique hors d’usage. L’arrivée d’un étranger qui propose de les aider éveille leur méfiance et fait naître la peur. L’histoire est racontée de façon non chronologique, à la manière d’un film d’horreur jouant sur les allers-retours dans le temps pour faire monter l’angoisse. Très inspirés par le cinéma pour chacune de leurs créations, les membres de Splintergroup ont cherché à reproduire sur scène certains effets cinématographiques. Mais comment faire un gros plan sur une personne quand il y en a trois sur le plateau?
"Il y a une scène, par exemple, où on fait un zoom avant sur le point de vue de la fille par l’intermédiaire de la voix, explique l’artiste. Elle est dans la voiture et son ami sort pour aller parler à l’étranger. Quand les portes et fenêtres de l’auto sont fermées, personne n’entend le son de ce qui se dit à l’extérieur tandis que des micros dans la voiture permettent d’entendre la respiration de la femme et de percevoir sa peur de ce qui pourrait arriver. Ce passage est inspiré d’une histoire vraie en Australie: un homme avait demandé de l’aide à un couple, il a entraîné le gars derrière la voiture et l’a tué; la fille n’a pas vu ce qui s’était passé."
Ce genre de fait divers nourrit les légendes urbaines australiennes qui pullulent d’histoires de routards assassinés et autres atrocités survenues dans la brousse. La bande-son de Luke Smiles et les éclairages de Mark Howett – fortement inspirés du traitement de la lumière dans le film Sang pour sang des frères Coen – renforcent la tension dramatique de la pièce. Au dire de Millwood, son impact émotionnel peut s’avérer très puissant. "À Brisbane, le stationnement est un peu loin du théâtre et certains spectateurs ont demandé à être raccompagnés jusqu’à leur voiture, raconte-t-il. C’est vraiment bizarre de regarder le public et de voir certains spectateurs collés les uns aux autres. Je n’aurais jamais pensé que la danse puisse créer ce genre d’émotion."
Du suspense, des effets spéciaux, une scénographie importante et une gestuelle variée caractérisent cette oeuvre. On y voit des influences nettes du Belge Wim Vandekeybus avec lequel deux des danseurs ont travaillé, mais aussi des éléments reflétant les styles personnels des trois créateurs. Une façon originale pour la Cinquième Salle de clore sa série australienne.