Marie Brassard : Dans les limbes
Scène

Marie Brassard : Dans les limbes

Objet théâtral étrange, entre performance scénique et prouesse technologique, la forme de L’Invisible de Marie Brassard rejoint les zones d’ombre et les lumières diffuses dans lesquelles navigue le fond.

À quoi peut ressembler la frontière entre la vie et la mort, entre le passé et le présent, entre le réel et la fiction? Et où se rejoignent le corps et l’esprit, le son et la lumière, l’instinct et la raison? Marie Brassard, qui fut la collaboratrice de Robert Lepage avant de connaître le succès avec ses propres créations (de 2001 à 2005: Jimmy, créature de rêve, La Noirceur et Peepshow), s’interroge à propos de ces univers limbiques. Les ectoplasmes émanant du corps de médiums en transe, le fantôme du mur de Berlin et le canular littéraire de l’écrivain JT Leroy (pourtant un être en chair et en os, mais qui s’était travesti pour devenir le produit de l’imaginaire d’une auteure inconnue) y servent de vecteurs à un imaginaire qui rêve des no man’s land du territoire de l’âme, et sonde ainsi l’inconnu.

"Ces trois choses, ce sont des sources d’inspiration, on en parle un peu, mais ce n’est pas le sujet du spectacle, précise l’auteure, metteure en scène et comédienne. C’est un spectacle plus poétique que ce que j’ai fait avant, plus abstrait. Je voulais explorer ce thème des choses qu’on ne peut pas voir, qu’on ne peut pas entendre, et on a créé un environnement pour le spectacle qui est vivant, mouvant, où on essaye de rendre visible et audible ce qui ne l’est pas habituellement, comme les bruits de la lumière, par exemple."

Créé pour le Festival TransAmériques de Montréal en 2008, L’Invisible est exactement comme les sujets qu’il aborde: difficile à décrire. "C’est encore du théâtre", soutient Marie Brassard, qui s’est adjoint les services du Finlandais Mikko Hynninen et des Québécois Alexander MacSween et Simon Guilbault afin de modeler cet univers organique de sons, de lumières et d’images qui propose de nous emmener, comme Alice, de l’autre côté du miroir.

Un endroit où le narratif fait place à la suggestion, aux impressions.

Accueilli avec diligence par une critique qui mettait cependant en évidence ses quelques failles, le spectacle a depuis été rénové de fond en comble, surtout les textes, que l’auteure admet avoir beaucoup retravaillés. Mais L’Invisible n’a toutefois jamais modifié sa trajectoire.

Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit ici. D’un projectile chargé de questions, d’une quête de sens, lancé dans l’inconnu.

Une sorte de miroir de l’artiste qui refuse le confort des formules établies, et avance, tête baissée. "Il y a une sorte de glorification de la performance parfaite, soutient-elle. Mais moi, la virtuosité ne m’impressionne pas nécessairement. Ce qui m’impressionne, c’est l’honnêteté d’une démarche, la prise de risques, les gens qui m’amènent à des endroits où je ne suis jamais allée."

"Le théâtre est un médium qu’il est important de revisiter si on veut que ça évolue avec le monde, que ça demeure un art vivant, sinon les jeunes n’iront plus, poursuit-elle. C’est un devoir qu’on a en tant qu’artistes de prendre des risques et d’aller là où les gens n’iront pas normalement. Comme pour les scientifiques, les philosophes. Avec le privilège d’aller devant les gens, de leur parler, vient le devoir de les faire réfléchir. Nous avons le devoir d’être aventuriers."