Michel Nadeau : L'ombre du doute
Scène

Michel Nadeau : L’ombre du doute

Cette saison, Michel Nadeau a choisi de nous faire découvrir Insomnie, une pièce de Daniel Brooks qui sera présentée pour la première fois en français. Crise de la trentaine.

Après avoir monté Corps et Âme de John Mighton en 2008, le Théâtre Niveau Parking nous revient avec une autre oeuvre en provenance du Canada anglais, Insomnie de Daniel Brooks et Guillermo L. Verdecchia. "C’est un filon qu’on va peut-être essayer de suivre un peu plus, explique Michel Nadeau, directeur artistique de la compagnie. Parce que même si on ne parle pas la même langue, on se rend compte qu’on partage des valeurs sociales, une façon de voir le monde."

Appréciant déjà le travail de metteur en scène de Brooks, il a appris avec intérêt que ce dernier avait aussi écrit quelques pièces. Il l’a donc contacté pour lui demander de les lui envoyer. "On sent, dans ses textes, la même intelligence, la même acuité du regard que dans ses mises en scène, observe-t-il. J’ai aimé sa manière d’écrire très moderne, son analyse des rapports humains très fine."

Comme le suggère son titre, Insomnie raconte l’histoire d’un homme qui a de la difficulté à trouver le sommeil. Parce que sa carrière ne démarre pas et que, depuis la naissance de son premier bébé, son couple s’étouffe. "Tout à coup, la réalité dans ce qu’elle a de lourd lui tombe dessus. Étant donné qu’il dort très peu, il a moins de défenses. Ses craintes par rapport à l’échec de son mariage, à sa réussite dans la vie, sa jalousie envers son frère, tout ça remonte à la surface."

Aussi, étant donné que l’auteur n’a pas voulu trancher entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, Michel Nadeau a cherché à faire en sorte que sa mise en scène demeure toujours à la frontière de la réalité et du rêve. En se servant de la musique et des éclairages, en jouant sur le timing et la mise en place pour créer de subtils décalages, il propose sa propre lecture des événements. Mais sans trahir l’ambiguïté du texte, histoire d’intriguer le spectateur. Un principe qu’il rapproche de celui qu’applique David Lynch au cinéma.

Sur un ton plus grave, plus angoissé que le théâtre de François Létourneau, les films de Ricardo Trogi ou une émission comme Les Invincibles, la pièce s’intéresse aux préoccupations de la trentaine. Pourtant, elle dépasse selon lui le portrait de génération. "John a l’impression qu’il est manipulé par le système; il doute de ses propres jugements parce qu’il les a construits à partir de ses lectures et que les choses qu’il a lues ont été écrites par des gens qui voulaient lui vendre un point de vue. Il doute de lui, de son talent, de sa relation avec sa blonde, de tout", résume-t-il.

De même, son insatisfaction d’être peut renvoyer à l’insatisfaction d’avoir de notre société de surconsommation. La question qui se pose étant: que se passe-t-il lorsqu’on refuse de se faire une raison, d’accepter nos frustrations? "Il s’agit quasiment de la chronique d’un naufrage annoncé; ça dérape, ça dérape, ça dérape…" conclut-il, en spécifiant toutefois que le constat final a le mérite de ne pas être désespéré.