Mon corps deviendra froid : Deuil cannibale
Première pièce d’Anne-Marie Olivier créée à Montréal, Mon corps deviendra froid aborde les souffrances de l’enfance en évitant le pathos.
On dit que le comédien Stéphan Allard s’est porté à la défense de la pièce d’Anne-Marie Olivier. Parce qu’elle le touchait profondément, personnellement, il a tenu à la mettre en scène. Voilà qui n’est pas difficile à croire. Et à comprendre. Mon corps deviendra froid est une émouvante chronique familiale, un théâtre de cuisine au réalisme habilement détourné, un miroir tendu aux trop nombreux enfants de parents inadéquats.
On aurait pu insister sur la misère, fouiller avec complaisance les blessures de l’enfance, y plonger le couteau ou la fourchette pour le seul plaisir de voir les plaies se rouvrir, le sang couler à nouveau. Vous aurez compris que la production à l’affiche du Quat’Sous ces jours-ci fait tout le contraire. Pour baliser le territoire, éviter les pièges du pathos et le manichéisme, l’auteure a parsemé sa pièce de métaphores, des procédés franchement théâtraux que le metteur en scène a su traduire avec sensibilité, c’est-à-dire en faisant affleurer la drôlerie, la tendresse et la bonne volonté, même dans la plus tragique des situations.
D’entrée de jeu, il y a Sylvie, la femme de Fernand, le fils brisé. Brigitte Lafleur est bouleversante dans la peau du seul personnage de la pièce qui ne soit pas vraiment un membre de la famille Desbiens. Celle qui se définit comme une handicapée sociale est déjà sur scène quand on entre dans la salle. Durant toute la pièce, elle nous sert de narrateur. Par ses yeux, on assiste à un souper pas banal. Un repas où, pour commémorer les dix ans de la mort du père, on entreprend, au sens figuré bien entendu, de le dévorer pièce par pièce, des parties nobles aux abats.
C’est alors que reviennent à la surface, entre les murs de l’extraordinaire cuisine imaginée par Julie Deslauriers (scénographie) et Martin Sirois (éclairages), des fragments de l’histoire familiale, des scènes souvent douloureuses où le déséquilibre mental du père est de plus en plus marqué. Mais aussi des moments merveilleux, comme le premier rendez-vous amoureux des parents, ou encore ce jour où germe dans l’esprit du père l’idée d’un pogo géant.
Suzanne Champagne, la mère, Claude Despins, le fils, et Myriam Leblanc, la fille, sont toujours justes, mais Roger La Rue, dans les habits du père, un homme incompris, inadéquat, est plus convaincant encore. On le sent peu à peu gagné par une folie de moins en moins douce, broyé par les exigences d’une vie à laquelle il n’était pas destiné, freiné par une société sans imagination. Souhaitons que pareille détresse cesse un jour de se transmettre de génération en génération.
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