Antoine Bertrand : Force tranquille
Scène

Antoine Bertrand : Force tranquille

Antoine Bertrand remonte sur les planches dans Porc-épic, une pièce de David Paquet mise en scène par Patrice Dubois sous la bannière du Théâtre PàP. On discute avec lui de théâtre, de télévision, d’humour et de rapports amoureux.

Voir: Tout d’abord, dites-moi comment la séance photo de la page couverture s’est déroulée?

Antoine Bertrand: "Super! Des fois, c’est un peu stressant avec des photographes qui sont habitués de travailler avec des mannequins professionnels qui ont un baluchon d’à peu près 175 faces différentes. Moi j’en ai quatre! Une chance, il y en avait deux là-dedans qui faisaient l’affaire."

De quelle manière Patrice Dubois, metteur en scène et codirecteur artistique du Théâtre PàP, vous a-t-il proposé le rôle?

"Il m’a parlé d’un show comico-trash. J’étais très content qu’il me téléphone parce que ça faisait longtemps que je voulais travailler avec lui. Je pense que c’est le metteur en scène dont j’ai vu le plus de spectacles. En plus, j’ai tout de suite aimé le texte. Un curieux objet qui m’a donné le goût de foncer."

Arrivez-vous à résumer l’intrigue de Porc-épic, une pièce du jeune David Paquet que Patrice Dubois décrit comme un amalgame de comédie noire, de boulevard et de tragédie grecque, quelque chose comme un film catastrophe tourné par Almodovar?

"C’est difficile de faire un pitch avec Porc-épic. Il faut le voir, le recevoir. Il y a quelque chose de choral en fait, plein d’histoires qui finissent par se rejoindre. Sur le plan de l’énergie, moi et mes comparses – Jean-Pascal Fournier, Marika Lhoumeau, Dominique Quesnel et Geneviève Schmidt -, on ne cesse de se passer le relais. Le but, c’est de trouver le souffle complet de cette bébelle-là, le bon swing, pour éviter que ça donne des cellules qui n’interagissent jamais. Disons, pour résumer, que les cinq personnages ont décidé qu’aujourd’hui serait une journée spéciale. Théodore, Noémie, Cassandre, Suzanne et Sylvain sont à un point tournant de leur vie. Chacun va changer un pattern ou une habitude néfaste, chacun va tenter de briser sa solitude. Évidemment, ils ne vont pas tous y arriver aussi bien."

Parlez-nous de votre personnage, Théodore. À quoi ressemble son parcours?

"Théodore, au début, c’est une force immobile, un gars qui ne se remet jamais en question. Enfant gâté sur les bords, sans grande conscience des gens qui l’entourent, il parle le plus souvent au "je". Il se considère un peu comme un aimant du bonheur, un roc, mais il a peut-être un petit problème d’engagement. Quand, peu de temps après avoir quitté sa blonde, il retombe en amour, puis goûte au refus pour la première fois de sa vie, il gère vraiment mal la situation et part dans une régression qui va le mener loin."

De quoi parle véritablement la pièce, selon vous? De la peur de s’ouvrir aux autres, de leur faire confiance?

"Exactement. En s’ouvrant aux autres, on se rend vulnérable. Les personnages de la pièce sont généreux et aidants, mais ils sont aussi mesquins et égoïstes. C’est ça, la métaphore du porc-épic. En voulant réchauffer l’autre ou se faire réchauffer par lui, on pique ou on se fait piquer. Tu n’as pas le choix que d’avoir foi en l’autre si tu veux avancer. Plus tu aimes, plus tu risques de te faire mal, mais le désir d’aimer et d’être aimé surpasse, ou du moins devrait surpasser, la peur d’avoir mal. Si l’autre détient le pouvoir de te blesser, il est également le seul, bien souvent, à pouvoir te consoler. C’est avec tout ça que les personnages jonglent. Ils se débattent avec leur humanité, en somme."

Il me semble que le personnage de Cassandre, fantaisiste, particulièrement émouvant, est emblématique de la pièce, qu’il en est le pivot, le métronome. Qu’en pensez-vous?

"Je suis d’accord. À mon avis, Marika Lhoumeau porte le show sur ses épaules. Et c’est parfait parce qu’elle est vraiment solide. La solitude de Cassandre est immense. On sent qu’elle en est à son ultime tentative. Si elle arrête de nager, elle coule. C’est là que ça se passe ou sinon elle meurt. Il faut avouer qu’elle vit dans un univers étrange. À force d’être seule, elle a fini par se créer des petits amis et des situations de jeu. Il lui arrive, par exemple, de célébrer son anniversaire même si ce n’est pas vraiment le jour de sa fête. Si ce monde lui convient, il n’est pas évident à accepter pour les autres."

Cette étrangeté est une dimension importante de l’oeuvre, elle nous préserve du réalisme.

"Il y a en effet des trucs absurdes ou fantastiques dans l’écriture de David qui nous empêchent de sombrer dans la sensiblerie, le pathétisme ou le téléroman, et ce, sans escamoter l’émotion. C’est une petite distance que je dirais sournoise; sournoise parce qu’au départ, on a l’impression que tout cela ne nous concerne pas, puis on réalise que ces gens vivent des choses qu’on vit nous aussi. Pour les dons de Patrice comme metteur en scène, c’est un texte idéal. Avec lui, même si l’univers de la pièce est relativement réaliste, on est toujours certain d’être au théâtre, à cause du traitement qu’il adopte, de la direction d’acteur plus grande que nature et en même temps assumée, ancrée dans le personnage. C’est un grand bonheur d’être sa pâte à modeler."

ooo

SUR PLUSIEURS FRONTS

Comment arrivez-vous à composer avec vos divers engagements, au théâtre et à la télévision?

"Je dis souvent que je fais du théâtre de disponibilité. Si on me propose quelque chose et que j’ai le temps, tant mieux. En général, c’est entre janvier et avril qu’il faut m’attraper. En ce moment, je travaille juste sur Porc-épic. C’est super de pouvoir se concentrer sur une seule affaire. Aussi, d’une certaine manière, la télévision me permet d’accepter des rôles au théâtre. Au printemps, je pars en Abitibi pour une tournée avec le Petit Théâtre du Vieux Noranda, pour un spectacle destiné aux enfants qui s’appelle Bascule et qui est mis en scène par Antoine Laprise. Si je ne vivais pas bien de la télévision, je ne pourrais pas nécessairement me permettre de m’exiler ainsi de la ville pendant deux mois."

Avez-vous le sentiment que votre gabarit vous confine dans certains rôles?

"Non, pas du tout. C’est sûr qu’au théâtre, j’ai fait des trucs plus diversifiés qu’à la télévision, mais je ne me sens pas cantonné dans un type de rôle. Junior Bougon, ce n’était pas supposé être un gars grand et gros, ce n’était pas la proposition de départ. Yannick, dans C.A., il aurait pu avoir un autre physique que le mien. En même temps, je suis conscient que c’est très présent, que mon corps parle beaucoup. Mais ce n’est pas ça que je veux mettre de l’avant. Je suis quelqu’un de sensible, alors j’essaie de transmettre ça dans mes personnages. Un comédien qui est petit et maigre a différentes nuances, j’essaie d’en trouver autant avec la carrure que j’ai. D’ailleurs, je ne sens pas du tout que les gens ne voient que ça dans mes personnages."

Grâce à Bluff, le jeu-questionnaire que vous animez avec Marie-Christine Trottier sur les ondes de Télé-Québec, on a découvert votre humour absurde, absolument délectable. Vous avez déjà pensé à faire du stand-up?

"J’adore ça. Je trouve que l’émission est un médium parfait parce que je n’ai pas à écrire et porter un numéro au complet; je viens seulement ponctuer et je pense que c’est là-dedans que je suis le meilleur. Mon humour est un peu out of nowhere. Il y a des jokes qu’on est peut-être juste trois à comprendre, mais j’ai aucun problème avec ça. Je me dis que ceux qui rient à la maison se sentent concernés. Il y a deux semaines, j’ai fait une joke qui était directement reliée à mon oncle. Il y a peut-être juste lui qui a ri, mais je suis sûr qu’il va m’en parler à Noël."