Serge Boucher : Le poids des années
Scène

Serge Boucher : Le poids des années

La famille Dubé vit de douloureux épisodes dans Excuse-moi, la nouvelle pièce de Serge Boucher mise en scène chez Duceppe par René Richard Cyr.

Nombreux sont les spectateurs de théâtre à frétiller en attendant de découvrir le nouveau texte de Serge Boucher. C’est qu’il est passionnant de suivre une oeuvre aussi cohérente, de tisser des liens entre les différents univers inventés par l’auteur, et surtout de retrouver les mêmes personnages à différents moments de leur parcours, comme chez Michel Tremblay (à qui l’auteur dit d’ailleurs vouloir rendre hommage avec cette pièce).

Cette fois, François Dubé débarque chez ses parents à un moment charnière: son père va bientôt mourir et s’empêtre dans l’alcoolisme et le mensonge. Une situation banalement tragique, qui sert ici à déclencher un dialogue entre les parents et leur fils, à débroussailler le passé et les non-dits qui polluent leur relation. Et ce, toujours dans une langue hyperréaliste, à la fois très précise et très floue, où sont aménagés des espaces vides, comme pour témoigner des zones d’inconnu dans les relations familiales. Comme si ce père, cette mère et ce fils étaient finalement des étrangers l’un pour l’autre.

"Dans les autres pièces, dit Boucher, François est un observateur extérieur. Il n’a jamais su pour l’alcoolisme de son père, ni pour ce qui arrive à sa mère. Il a besoin de savoir. Je lui fournis cette fois des pistes de réponses, il y a des bribes du passé qui lui sont révélées. Où ça le mène, d’avoir des réponses? Je ne sais pas. Je ne suis sûr de rien. Mais je pense que je boucle quelque chose avec cette pièce. Je vais ensuite prendre une pause du microcosme familial."

Il est vrai qu’après quelques pièces marquantes et toute une télésérie explorant les mécanismes relationnels familiaux (Aveux), on a l’impression que Boucher ne parle que de ça. C’est faux, bien sûr. N’empêche, il a trouvé là un terreau particulièrement fertile. "C’est inépuisable, la famille, on y revient toujours, on n’en a jamais fait le tour. Toutes les guerres et tout l’amour du monde passent par là. Pour que ce soit fertile, il faut pourtant dépasser le strict cadre familial. Dans ma pièce, l’alcoolisme et la maladie des parents ne sont là que pour affiner le portrait très humain d’une génération de parents, un portrait que je m’attarde à peindre depuis plusieurs années. C’est aussi et surtout un moyen pour François de tendre la main et de freiner la déchéance de ses parents. Une main tendue, même si elle arrive un peu tard, peut toujours faire des miracles."

Excuse-moi, on l’a dit, c’est une affaire d’oralité. Le père et la mère y parlent plus que jamais, déversent des logorrhées où abondent les souvenirs et les remarques sur le passage du temps. "Les mots servent de fuite. On parle pour mentir, pour dissimuler. Mais le désir de parler est bien là, en filigrane, les révélations percent le flux verbal et veulent se faire entendre. Petit à petit, même quand le père n’a l’air de parler que de la météo, ces petites révélations-là forment les morceaux d’un puzzle à reconstruire, un tissu de vérités dévoilées tout en douceur."

Boucher a aussi travaillé une forme elliptique, dans laquelle le temps est troué, et la linéarité, interrompue, et dans laquelle les époques se répondent dans une structure en miroir. Une forme que ne renierait pas, encore une fois, un certain Michel Tremblay.