Une fête pour Boris : Jeux de pouvoir
Scène

Une fête pour Boris : Jeux de pouvoir

Après avoir été applaudie en France et en Belgique, Une fête pour Boris est enfin de retour chez nous. Le spectacle de Denis Marleau est un incontournable.

Il est assez peu de spectacles qui s’adressent à ce point à ce qui fait la grandeur de l’être humain. D’abord son intelligence, sa capacité d’analyse et sa perspicacité, mais aussi, pour ne pas dire surtout, son aptitude à savourer l’ironie et à rire de lui-même. Le texte de Thomas Bernhard est une satire aussi réjouissante sur le fond que sur la forme, un bijou qu’il fallait à tout prix placer entre les mains de Denis Marleau, directeur de la compagnie Ubu, et son équipe.

Créée en 1970, Une fête pour Boris est la première pièce de l’auteur autrichien mort en 1989. Absurde mais néanmoins sérieuse, terrible tout en étant désopilante, elle donne la mesure du talent de celui qui nous a notamment légué Maîtres anciens, Le Neveu de Wittgenstein et Le Faiseur de théâtre. Éclairée par Marleau, la partition apparaît dans toute sa complexité, donne à voir le moindre relief.

Les rapports qui unissent la Bonne Dame à sa suivante Johanna sont pour le moins troublants. Bourreau et victime. Reine et valet. Dans la première partie, on se familiarise avec les rudes méthodes de la maîtresse de maison. On comprend qu’elle a perdu ses jambes et son mari dans un accident, qu’elle s’est remariée avec un cul-de-jatte prénommé Boris et que persécuter sa domestique est un sport où elle excelle. Plus grande que nature, la scène d’essayage des gants et des chapeaux est une petite merveille. On ne peut s’empêcher de penser aux Bonnes de Jean Genet.

Dans la deuxième partie, la dame nous fait le récit d’un bal dont les influents convives dissimulent plus ou moins adroitement leurs mauvaises intentions derrière des masques. Toute ressemblance avec le monde dans lequel nous vivons est purement… intentionnelle. Dans la troisième partie, point culminant, Boris reçoit ses 13 copains culs-de-jatte, de petites marionnettes articulées dont les visages sont des images en mouvement, une étrange chorale qui captive au plus haut point.

Au centre de ce vertigineux théâtre du dédoublement où pullulent masques, maquettes, projections, effigies et marionnettes, Christiane Pasquier, Guy Pion et Sébastien Dodge sont époustouflants. Grâce à leur talent, leur rigueur et leur polyvalence, la scène est une maison de poupée qui fascine et angoisse, un endroit où il est encore permis de croire que "faire semblant" peut repousser la mort.