Woyzeck : Un simple soldat
Georg Büchner est mort à 23 ans, laissant sa pièce Woyzeck inachevée. Pourtant, elle compte parmi les plus montées dans le monde. Brigitte Haentjens s’ajoute à la prestigieuse liste des metteurs en scène qui s’y sont attaqués.
Fragmentée, sans fin réelle, la pièce de Büchner force les metteurs en scène qui la montent à remplir des trous, à y mettre leurs propres mots. C’est un aspect qui a plu à Brigitte Haentjens: "Il y a un réel plaisir à participer à l’écriture d’un spectacle. J’aime le fait qu’il y ait de l’espace pour le silence. Je trouve que le silence au théâtre est trop rare et parfois plus éloquent. Avec Woyzeck, on peut créer un univers sans être trop contraint par la dramaturgie."
Woyzeck, créé à l’Usine C en 2009, fait entrer la directrice de Sybilines en zone profondément masculine. Celle qui a conçu un spectacle à 50 comédiennes (Tout comme elle), qui a fait jouer du Sarah Kane à Céline Bonnier (Blasté) et du Sophie Calle à Anne-Marie Cadieux (Douleur exquise) confie avoir "pour l’instant fait le tour du jardin féminin". Place à l’univers rustre de Franz Woyzeck (Marc Béland), un soldat pauvre, épris d’une femme qui n’a d’yeux que pour Tambour-Major (Sébastien Ricard), un salopard colérique, mais riche. Les beuveries sont nombreuses et le triangle amoureux vire au vinaigre: il y aura mort de femme.
Sous les traits de Marc Béland, le personnage de Woyzeck devient un "être très souffrant. Oui, il entend des voix, a des visions, des appels, mais ce n’est pas un fou". Brigitte Haentjens ajoute: "C’est lui qui dit les choses les plus sensées, c’est plus un poète qu’un fou." Quant à Sébastien Ricard, on frôle le contre-emploi: "Il a toujours joué les beaux Brummell!" lance Marc Béland. "En tout cas, c’est la première fois que je joue un homme dans le sens classique du terme, un mâle, une espèce de brute vulgaire mais en même temps très virile", rétorque Ricard.
Brigitte Haentjens et Sébastien Ricard, cocréateurs du Moulin à paroles de septembre dernier, ne tarissent pas d’éloges pour Büchner. "C’était un révolutionnaire, un précurseur de Brecht, qui a livré un théâtre intense et extrêmement politique", affirme Haentjens. Le dramaturge allemand a consacré la majorité de sa courte vie à étudier les mécanismes du pouvoir et à peaufiner un langage tourné vers les exploités. "Ça donne des phrases magnifiques, comme "Nous les pauvres, on sue même en dormant" ou "Nous les pauvres, je gage que si on va au ciel, va falloir qu’on aide à faire du tonnerre"", cite Ricard.
Pour créer leur version de Woyzeck, la metteure en scène et ses neuf acteurs se sont livrés à une profonde réflexion sur l’oppression. Elle raconte qu’ils ont regardé des films comme Les Ordres, de Michel Brault, de vieux films de Pierre Perrault et ceux de Pierre Falardeau. "On voulait s’interroger sur l’oppression à la québécoise, ce qu’elle a été et ce qu’elle est aujourd’hui. Mais l’action ne se situe pas pour autant chez nous, précise-t-elle. On n’est ni dans un lieu précis ni dans une époque précise. Il n’y a rien sur scène. C’est les acteurs qui font tout. C’est eux qui doivent occuper l’espace et la parole. On est plus dans une architecture qu’un décor. Au fond, même la scénographie est politique!" conclut Brigitte Haentjens.