Evelyne de la Chenelière et Pierre Lefebvre : Électrons libres
Scène

Evelyne de la Chenelière et Pierre Lefebvre : Électrons libres

La revue Liberté fête ses 50 ans d’existence. Afin de mesurer le chemin parcouru, on lance quatre numéros spéciaux, dont l’un sur le théâtre. On en discute avec Evelyne de la Chenelière et Pierre Lefebvre.

Dans l’horizon des revues culturelles québécoises, Liberté est un cas exemplaire. Sa longévité étonne et son indépendance d’esprit suscite l’admiration. Comme à ses débuts, la publication en est une de combat. Chaque texte porte un regard vif sur un phénomène culturel ou social, sans prétendre à l’objectivité, sans retenue, sans complaisance et sans rectitude politique.

À ses débuts, elle rassemblait des poètes et des écrivains désireux de secouer le Québec encore trop conventionnel dans lequel ils vivaient et de lire le monde à la lumière de la littérature. Aujourd’hui, elle a élargi ses perspectives et regroupe des auteurs de tous horizons, développant graduellement un fort penchant pour le cinéma et le théâtre, jusqu’à intégrer à son comité de rédaction des auteurs dramatiques comme Olivier Kemeid et Evelyne de la Chenelière.

Dans le même rayon, le Québec a fait naître des revues comme Parti pris et Cité libre, qui n’ont pas survécu au passage du temps. En 2010, auprès de toutes les nouvelles revues comme la sarcastique Conspiration dépressionniste ou la très culturelle OVNI, Liberté fait figure d’exception dans un monde médiatique plutôt sage. Pourtant, 50 ans après les débuts de la Révolution tranquille, le besoin d’ébranler les conventions semble toujours aussi criant.

C’est le constat que fait le rédacteur en chef Pierre Lefebvre. Dans le numéro de septembre 2009, il écrit: "En face du Québec créatif, généreux, audacieux, progressif et ouvert qu’on n’arrête pas de nous présenter, j’ai l’impression d’être au bord de la folie, tellement l’image qu’on nous donne à voir ne me semble pas refléter le monde dans lequel je vis."

Pire encore, Lefebvre avance en entrevue l’idée que le Québec vit peut-être une deuxième Grande Noirceur. "Même si on a gagné des libertés individuelles, les problèmes contre lesquels on doit se battre sont les mêmes qu’à l’époque du Refus global. Le clergé a cessé de réfréner la prise de parole, mais les lois du marché ont repris le flambeau et relèguent la culture et l’effort intellectuel au rang de marginalités qui s’insèrent mal dans la vie publique."

Dans le monde du théâtre, ce constat s’applique aussi. Le prochain numéro de Liberté donne la parole à plusieurs artistes, comme l’auteure Geneviève Billette et le metteur en scène Martin Faucher, qui constatent que l’audace et la rigueur sont peu présentes sur nos scènes parce que la rentabilité est devenue une obsession.

Evelyne de la Chenelière en sait quelque chose. "Aucun artiste n’a l’intention d’adapter son travail aux critères de rentabilité, mais le climat l’impose. Au-delà des oeuvres, tout le discours autour du théâtre s’articule selon des principes de rentabilité. Il n’existe presque plus, dans l’espace public, d’autres manières d’appréhender le travail artistique."

Pierre Lefebvre: "Ça m’a toujours déçu qu’au Québec les gens de théâtre soient absents de l’espace public, alors qu’ils jonglent sans arrêt avec la parole et la réflexion. Mais l’expérience qu’on a à Liberté me rassure sur une chose. Quand on leur demande de prendre la parole et qu’on leur offre un espace, ils le font, et ils le font très bien."

Le numéro 287 de Liberté, "Théâtre 1959-2009", sera en kiosques au début mars. Aussi à surveiller, le lancement d’une anthologie et une lecture publique au printemps.

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