Guy Jodoin et Nathalie Mallette : Grandeur et misère
Scène

Guy Jodoin et Nathalie Mallette : Grandeur et misère

Complices, Guy Jodoin et Nathalie Mallette enfilent les costumes de Monsieur Jourdain et de sa servante Nicole dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, dans une mise en scène de Benoît Brière.

Pas facile de trouver un moment pour rencontrer Guy Jodoin. On chercherait à prendre rendez-vous avec le premier ministre qu’on ne se heurterait pas à autant de difficultés. Voir l’a attrapé à la fin d’une journée essoufflante, bien longtemps après la fin de son émission matinale quotidienne à la radio et ses tournages du jour. "Il faut croire, dit-il, que l’exigence et l’intensité du théâtre me manquent. Je n’ai d’ailleurs pas joué sur scène un si gros rôle depuis l’école de théâtre. C’est galvanisant d’être au centre d’une si grosse équipe qui travaille très fort et que je ne veux pas décevoir. Il faut être à la hauteur du travail et de l’intensité de tout le monde, en tout temps. C’est un gros contrat."

JOURDAIN L’ARTISTE

Dans le programme, le metteur en scène Benoît Brière annonce clairement ses couleurs. Qu’on ne s’attende pas à une relecture: "Je n’ai pas envie de moderniser la pièce dont la situation, à mon sens, est parfaitement d’actualité." C’est donc le thème de l’arrivisme, tel que l’exposait Molière en 1670, que la pièce nous lancera à nouveau. La quête de Monsieur Jourdain, ce petit bourgeois qui rêve d’amour, de noblesse et de grande culture, évoque la rapidité avec laquelle on pense aujourd’hui acquérir une culture solide et surtout la reconnaissance sociale qui vient avec, sans faire les efforts qui s’imposent.

En salle de répétition, les acteurs disent avoir beaucoup réfléchi aux questions de clivage entre l’art populaire et l’art dit élitiste. "Monsieur Jourdain reçoit des leçons de danse, de musique, de philosophie qui le confrontent à des visions différentes de la culture et de la connaissance, explique Nathalie Mallette. C’est très intéressant à mettre en dialogue avec notre époque, où l’art a vraiment du mal à se démocratiser. Je pense que cette dimension-là du texte a de fortes chances de trouver une résonance contemporaine."

Quand Jodoin en parle, il n’hésite pas à faire référence à la question nationale québécoise. "Combien de gens au Québec considèrent aujourd’hui que l’art est inutile? Si on disposait de statistiques de ce genre, je pense qu’on serait étonné de la monstruosité des chiffres. Mais pourtant, il semble toujours clair pour les Québécois que leur culture passe en grande partie par les artistes. Après tout, quelle trace laisse-t-on de notre culture et de notre identité sans une pratique artistique forte et personnelle? Notre nation, qui est un peu notre pays, en a grandement besoin."

JOURDAIN LE NAÏF

Dans la vision de Jodoin, les intentions de Monsieur Jourdain sont nobles. Elles prennent toutefois forme de manière si exagérée qu’on aurait tendance à les trouver vaniteuses, opportunistes et risibles. "Benoît dit de Jourdain qu’il veut jouer dans la cour des Faux, mais qu’il ne réussit pas parce qu’il est trop vrai. Ça résume bien notre vision du personnage. C’est un grand naïf authentique et noble. Tout le monde rit de lui, mais il ne s’en rend pas compte, il se dévoue tout entier à sa quête qui n’est pas du tout factice. En ce sens-là, Monsieur Jourdain vit un vrai drame."

Nathalie Mallette poursuit: "Il est authentique, mais il joue quand même à être autre chose que ce qu’il est. C’est ce qui fait rire Nicole, elle n’en peut plus de le voir faire des mascarades. Elle est terre à terre, bien connectée avec ses racines, elle ne comprend rien aux exubérances de Monsieur Jourdain. Il y a aussi dans la mise en scène l’idée que Monsieur Jourdain est au centre d’une sorte de manipulation. Comme si tous les autres personnages le manipulaient comme une marionnette, comme si les cordes de la pièce étaient tirées à bout de bras par tous les membres de l’équipe, à travers une partition précise, une coordination exemplaire."