Gill Champagne : Mission: l'impossible
Scène

Gill Champagne : Mission: l’impossible

Gill Champagne aime s’attaquer à des monstres. Il a donc mis Caligula d’Albert Camus à la programmation du Trident et y dirige Christian Michaud dans la peau de ce tyran absurde.

Inspiré de La Vie des douze Césars de Suétone, Caligula, la première pièce de Camus, s’intéresse au personnage historique, mais surtout, lui prête des motivations permettant à l’auteur d’exprimer ses propres préoccupations philosophiques. En effet, le jeune empereur romain y devient un despote parce que le décès de sa soeur et maîtresse Drusilla lui fait prendre conscience du non-sens de l’existence, ce qui l’amène à se lancer dans une impitoyable quête d’impossible.

"J’aime beaucoup m’attaquer à des monstres, chercher pourquoi ils agissent comme ils le font", explique Gill Champagne. "C’est un personnage très riche, rempli de contradictions, qui passe par plein d’états, observe Christian Michaud. Je dois essayer de doser tout ça, de créer des liens entre les étapes de sa folie, car Gill voulait le rendre humain, qu’il ne soit pas qu’un tyran parce qu’il vit une peine d’amour, en quelque part."

Ainsi, Caligula a beau soutenir que son comportement n’a rien à voir avec la mort de sa bien-aimée, cela ne fait aucun doute pour le metteur en scène. Il a d’ailleurs donné un rôle muet à cette dernière, en plus de reprendre certaines répliques de la première version du texte (1938) où il est question d’elle. "Drusilla est tout le temps à côté de lui, spécifie-t-il. Elle va même jusqu’à lui apporter le fameux manteau d’empereur, comme si elle lui disait: "Il faut que tu joues ton rôle jusqu’à la fin. Viens me rejoindre." En fait, il s’agit d’une espèce de suicide mis en scène."

Sur le plan du jeu, la série télévisée Rome a été une source d’inspiration pour lui. "Quant à la façon très contemporaine de dire les choses, précise-t-il. On n’est pas du tout dans le tableau historique." "C’est brut", glisse le comédien. "Il n’y a pas d’emphase, pas de style romain ou tragique. On demeure dans le concret et c’était nécessaire pour rendre la langue de Camus très directe et vivante", renchérit Gill Champagne.

Aussi, il a voulu faire ressortir l’idée portée par la dernière réplique: "Je suis encore vivant!" "On n’est plus nécessairement à Rome, poursuit-il. On se situe davantage dans un espace intemporel, où cet homme pourrait nous faire penser à des dirigeants d’aujourd’hui, des gens qui ont trop de pouvoir et n’ont pas nécessairement les compétences pour régner." N’empêche, autour d’une manière de "char d’assaut symbolique" conçu par Jean Hazel, la scénographie et les costumes évoquent néanmoins l’après-guerre, période au cours de laquelle la pièce a été créée (1945).

Enfin, la mise en scène de Gill Champagne s’efface derrière celle de Caligula, donnant à l’ensemble des airs de "fête baroque". "Il organise l’espace, monte des mini-spectacles de mauvais goût, joue à Vénus, donne un show rock, manipule les pions", illustre-t-il. "Et il a réponse à tout", résume Christian Michaud. Bref, un personnage d’autant plus fascinant qu’on s’horrifie parfois à lui donner raison.

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UN HOMME EPRIS DE LIBERTÉ

L’auteur et politicologue Jean-François Payette se passionne pour l’oeuvre d’Albert Camus depuis des années. À ses travaux politiques, il conjugue des exposés sur l’oeuvre de l’auteur algérien ainsi qu’un essai, qu’il a publié en 2007 en compagnie du professeur Lawrence Olivier, intitulé Camus. Nouveaux regards sur sa vie et son oeuvre.

"Pour Albert Camus, nous restons toujours libres, indique-t-il d’emblée. Libres de nous battre contre les conditions qui nous accablent. Une réalité qui est très bien dépeinte dans L’Homme révolté, la pièce Les Justes, ainsi que La Peste. C’est la révolte. Avec Caligula, nous sommes devant le deuxième noyau dur, le deuxième axe de son oeuvre: l’absurde. Le troisième aurait été, semble-t-il, l’amour… Camus, c’est aussi une oeuvre inachevée."

L’auteur algérien s’est aussi prononcé publiquement sur plusieurs questions politiques, dont l’Algérie, bien sûr, et le communisme. "Pour Camus, il serait absurde de se borner à des principes idéologiques, poursuit M. Payette. Pour lui, la vérité peut être contenue dans un courant politique de gauche ou même de droite. Ce qui compte, c’est de la défendre: "L’Homme n’a pas besoin d’espoir, il a besoin de vérité." C’est ce qu’il avait dit à propos du communisme. C’est ce qui a provoqué, entre autres, cette rupture abrupte entre Jean-Paul Sartre et lui, alors que Sartre continuait de militer pour le Parti communiste malgré le régime stalinien. Pour Camus, asservir des hommes à un régime dans l’espoir de trouver de meilleures conditions dans le futur ne faisait aucun sens. On ne sait jamais où cela nous mène." (A. Léveillée)

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La Mort heureuse

d’Albert Camus

Ce devait être son premier roman publié. En 1938, le jeune Albert Camus a pratiquement achevé La Mort heureuse, l’histoire de Patrice Mersault, un homme prêt à tout pour accéder au bonheur, quand il met de côté le manuscrit, soudain convaincu de pouvoir mieux développer sa thématique. Il imagine alors le personnage de Meursault et entreprend la rédaction de ce qui deviendra l’un des plus célèbres romans du 20e siècle: L’Étranger. Ce n’est qu’en 1971 que paraîtra La Mort heureuse, plus de 10 ans après la mort de Camus. Texte imparfait, dans lequel le Prix Nobel 1957 cherche encore son rythme, mais qui préfigure clairement les motifs de son oeuvre. Que peut l’être humain pour donner un sens à une vie en apparence vaine? L’aisance matérielle est-elle une condition du bonheur? Est-ce que certains gestes radicaux, voire le crime, sont justifiables pour peu qu’ils résultent en un meilleur sort? On comprend pourquoi Camus avait abandonné ce texte plus ou moins abouti, mais on observe avec un vif intérêt de quelle manière l’écrivain, dont on reconnaît déjà la langue à la fois poétique et acérée, se débattait avec des questions dont il allait bientôt faire des pages exceptionnelles. Éd. Gallimard, coll. Folio, 2009, 176 p. (T. Malavoy-Racine)