Guy Jodoin et Nathalie Mallette : Grandeur et misère
Complices, Guy Jodoin et Nathalie Mallette enfilent les costumes de Monsieur Jourdain et de sa servante Nicole dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière du Théâtre du Nouveau Monde.
Pas facile de trouver un moment pour rencontrer Guy Jodoin. On chercherait à prendre rendez-vous avec le premier ministre qu’on ne se heurterait pas à autant de difficultés. Voir l’a attrapé à la fin d’une journée essoufflante, bien longtemps après la fin de son émission matinale quotidienne à la radio et ses tournages et répétitions du jour. "Il faut croire, dit-il, que l’exigence et l’intensité du théâtre me manquent. Je n’ai d’ailleurs pas joué sur scène un si gros rôle depuis l’école de théâtre. C’est galvanisant, et en même temps c’est très stressant d’être au centre d’une si grosse équipe qui travaille très fort et que je ne veux pas décevoir. Il faut être à la hauteur du travail et de l’intensité de tout le monde, en tout temps. C’est un gros contrat."
Un passé moliéresque
Nathalie Mallette est bien d’accord. "Jouer un Molière, c’est toujours très exigeant; une incroyable dépense d’énergie." Elle le sait bien, elle qui fut Charlotte dans le Dom Juan du TNM il y a neuf ans, sous la direction de Martine Beaulne. Comme aujourd’hui, elle y jouait le rôle de la femme du peuple, seule représentante de son rang dans les hautes sphères de la noblesse ou de la bourgeoisie. Quand on le lui fait remarquer, elle éclate de rire. "J’ai une face très peuple, semble-t-il. Mais Dom Juan étant plutôt une tragédie, je n’ai pas beaucoup d’expérience dans la comédie moliéresque. Ce rôle dans Le Bourgeois… me permet donc de nager dans de nouvelles eaux."
Même chose pour Jodoin, qui a joué les jeunes premiers dans quatre pièces du maître comique en début de carrière, mais qui se mesure pour la première fois à l’un de ses personnages matures. Après L’École des femmes, Le Misanthrope, Les Fourberies de Scapin et Georges Dandin, il retrouve le plaisir de la langue de Molière. "Ce que je trouve le plus difficile et le plus stimulant chez Molière, c’est la distance qui nous sépare de lui. Le gros défi, c’est de rapprocher ces personnages-là de nous, de chercher dans leurs paroles, leurs manières de dire, ce qui correspond à la parole d’aujourd’hui. Il faut faire un gros travail de compréhension du texte; il y a des phrases dont la formulation ancienne est si éloignée du langage courant, et surtout tellement chargée de sens, qu’elles obligent à un travail de langage et d’analyse passionnant."
Jourdain l’artiste
Dans le programme annuel de la saison, le metteur en scène Benoît Brière annonce clairement ses couleurs. Qu’on ne s’attende pas à une relecture: "Je n’ai pas envie de moderniser la pièce dont la situation, à mon sens, est parfaitement d’actualité." C’est donc le thème de l’arrivisme, tel que l’exposait Molière en 1670, que la pièce nous lancera à nouveau sur la scène du TNM. La quête de Monsieur Jourdain, ce petit bourgeois qui rêve d’amour, de noblesse et de grande culture, évoque la rapidité avec laquelle on pense aujourd’hui acquérir une culture solide et surtout la reconnaissance sociale qui vient avec, sans faire les efforts qui s’imposent. "On ne peut pas prétendre devenir un véritable artiste, dit encore Brière, en quelques semaines de télé."
En salle de répétition, les acteurs disent avoir beaucoup réfléchi aux questions de clivage entre l’art populaire et l’art dit élitiste. "Monsieur Jourdain reçoit des leçons de danse, de musique, de philosophie qui le confrontent à des visions différentes de la culture et de la connaissance, explique Mallette. C’est très intéressant à mettre en dialogue avec notre époque, où l’art a vraiment du mal à se démocratiser. Je pense que cette dimension-là du texte a de fortes chances de trouver une résonance contemporaine."