Isabelle Van Grimde : Organisme vivant
Isabelle Van Grimde met au défi quatre danseurs et cinq musiciens de renouveler l’oeuvre Bodies to Bodies III (Les Chemins de traverse – Metz) soir après soir.
La valeur esthétique d’une oeuvre réside dans le fait qu’elle peut être abordée sous de multiples angles et révéler à chaque regard différentes facettes d’un tout insaisissable. Tel est le credo de la chorégraphe Isabelle Van Grimde qui, depuis 2005, pratique l’oeuvre ouverte. Les danseurs disposent d’un corpus chorégraphique et d’un canevas très précis de l’oeuvre à présenter. Ils savent quelle couleur, quelle spatialité donner à chaque tableau et quelle progression dramatique imprimer à la pièce, mais ils portent l’entière responsabilité de la façon dont ils tissent leur toile à chaque représentation. Impossible d’interpréter de façon machinale. La notion d’art vivant prend alors tout son sens.
"La relation avec les interprètes est très contemporaine, souligne Van Grimde. Plutôt que de reproduire, ils ont à absorber le vocabulaire, la gestuelle et les intentions de l’auteur dans leurs moindres détails. À partir de cette compréhension et du matériel imposé, ils recréent sans arrêt le spectacle et ils le construisent différemment selon leur état physique, mental et émotionnel. On ne peut de toute façon pas espérer arriver de la même façon aux mêmes choses avec des gens dont le corps et l’esprit changent quotidiennement."
Insatiable chercheuse de sens et de renouveau, la fondatrice de Van Grimde Corps Secrets multiplie les projets et les explorations. Parmi ceux-ci, Le Corps en questions compile une série d’entrevues récoltées auprès d’artistes, de scientifiques et de penseurs dont les réflexions ont nourri le corpus chorégraphique de Bodies to Bodies, versions I, II et III. On remarque notamment une plus grande implication de la colonne et du bassin que par le passé ainsi qu’un autre rapport au sol.
"C’est sûr que la transformation la plus spectaculaire dans ma perception du corps vient de la découverte qu’il n’y a rien de solide dans le corps, qu’il n’est fait que de particules d’énergie, commente la chorégraphe. Mais ça, je le savais déjà. Les entrevues n’ont fait qu’approfondir ma réflexion. Je suis plus surprise de ce qui est sorti de tout ça en création. Les danseurs parviennent parfois à être connectés avec des éléments du corps qui ne sont pas toujours ceux sur lesquels on s’appuie normalement en danse… Mais ce sont des choses que je ne comprends pas, c’est le mystère qui s’épaissit avec toutes sortes de nuances, de nouveaux angles."
Le dialogue entre danse et musique qui fait la marque de Van Grimde depuis 1998 se raffine également. Inspirée par les méthodes de composition musicale, elle tâche d’imbriquer mouvement et son pour une synergie totale entre danse et musique, n’hésitant pas à impliquer les musiciens corporellement. "La différence est infime entre danseurs et musiciens, affirme-t-elle. Il y a beaucoup de similarités dans les directions qu’on peut leur donner en termes d’intentions, de décisions spatiales. Je suggère d’ailleurs souvent à mes interprètes d’aller aux concerts pour voir d’où partent les impulsions dans le corps des musiciens quand ils jouent parce que c’est extrêmement instructif." Un élément supplémentaire à observer pour le public.