France Geoffroy : La roue tourne
Scène

France Geoffroy : La roue tourne

La danseuse quadriplégique France Geoffroy réalise un vieux rêve en invitant la chorégraphe Estelle Clareton à chorégraphier Oiseaux de malheur!, un quatuor très théâtral, et une oeuvre de la série "Traces-interprètes", présentée par Danse-Cité.

Depuis qu’elle a fondé Corpuscule Danse, en 2001, France Geoffroy s’affirme comme la danseuse professionnelle qu’elle rêvait d’être avant l’accident qui l’a rendue tétraplégique. Ses premières oeuvres, elle les a commandées à des spécialistes de la danse intégrée, discipline qui couple danseurs à mobilité réduite et interprètes valides et dont elle est la grande pionnière au Québec. Elle a attendu plusieurs années avant d’oser aborder Estelle Clareton.

"Estelle est ma chorégraphe coup de coeur de tous les temps: j’ai adoré tout ce que j’ai vu d’elle, mais au début de ma carrière, j’étais très gênée d’approcher des créateurs pour leur demander de collaborer avec moi, confie la danseuse de 36 ans. Je me sentais intruse parce que j’étais en fauteuil roulant et j’ignorais qu’à titre de directrice artistique de compagnie, je pouvais approcher différents chorégraphes. Et puis, la danse intégrée n’était pas du tout connue, et je craignais qu’ils soient rebutés par l’idée de diriger une interprète aussi limitée que moi." Rappelons que Geoffroy ne bouge librement que la tête, le cou et les épaules et que ses mouvements de bras sont restreints.

En 2006, la rencontre fortuite avec la créatrice Johanne Madore lui prouve qu’elle est une artiste digne d’intérêt: créée à Espace Libre, Le Baiser est non seulement l’oeuvre où elle repousse le plus les limites de ses capacités physiques, elle sera aussi celle qui la consacre, par une reprise à l’Agora de la danse. En 2007, John Ottmann signe Confort à retardement, duo avec Tom Casey, le désormais fidèle partenaire des créations de Corpuscule Danse. Annie de Pauw et Marie-Hélène Bellavance, interprète amputée des deux jambes, font également partie de la distribution de la pièce de Clareton. Contre toute attente, la chorégraphe a rejeté en bloc les techniques de la danse intégrée au profit d’une théâtralité toute en simplicité.

"Au début, j’ai trouvé ça difficile, parce qu’elle refusait toutes mes propositions et je me sentais niée dans ma spécificité, commente Geoffroy. Quand on est limité physiquement, on voudrait donner tout ce qu’on a. Et quand la chorégraphe épure, épure, épure, tu te dis: merde, est-ce que je danse? Mais on a beaucoup creusé pour chercher quelque chose de nouveau et on est arrivées à un jeu de théâtre physique très intéressant. Je suis moins investie physiquement, je me sens plus comédienne, mais je suis vraiment contente du résultat."

Pas de déséquilibres ni de bascules de chaise roulante dans Oiseaux de malheur! Geoffroy y roule à toute berzingue dans son fauteuil électrique, elle s’y pavane sur un récamier, y chante du Tiger Lili et y déforme son visage dans d’impressionnantes grimaces. Non narrative, d’humeur globale plutôt sombre mais avec de nombreuses notes d’humour, la pièce met en scène une sorte de famille dysfonctionnelle où les individus se transforment en êtres mi-humains, mi-animaux pour nous amener à poser un nouveau regard sur ce qui est beau ou laid. En première partie, le b-boy Luca "Lazylegs" Patuelli montrera quant à lui que handicap et hip-hop peuvent également faire bon ménage.