Huis clos : Victimes et bourreaux
Scène

Huis clos : Victimes et bourreaux

Lorraine Pintal démontre hors de tout doute la pertinence contemporaine du Huis clos de Jean-Paul Sartre.

Au Québec, lorsqu’il s’agit de plonger dans les univers étouffants ou carrément concentrationnaires, les lieux de torture peuplés de bourreaux et de victimes, Lorraine Pintal n’a pas son pareil. Après avoir éclairé les petites et grandes tyrannies imaginées par Marcel Dubé, Réjean Ducharme et Claude Gauvreau, la metteure en scène se frotte au terrible sort fait par Jean-Paul Sartre aux protagonistes de Huis clos.

Plus de 65 ans après sa création, la pièce emblématique du mouvement existentialiste n’a rien perdu de sa force de frappe. La lecture sobre et efficace de Pintal démontre que les accusations de pièce à thèse poussiéreuse et didactique ne tiennent pas. La densité dramatique de l’oeuvre apparaît aussi nettement que la pertinence et la richesse de son propos. À une époque où les conformismes pullulent, où la marge est si mince que bien peu de gens arrivent à y tenir, rappeler que l’homme a par définition le pouvoir de s’inventer lui-même, de se construire en posant des gestes qui auront des résonances intimes et collectives, cela tient sans nul doute de la subversion. En voilà assez pour rendre la pièce de Sartre essentielle à notre ère.

Histoire d’accueillir comme il se doit Garcin, Inès et Estelle, trois bêtes humaines bien plus féroces qu’il n’y paraît, la metteure en scène a fait appel à Michel Goulet (scénographie) et Claude Cournoyer (éclairages). Représenter l’enfer, n’est-ce pas le fantasme suprême pour un artiste? Le résultat est une cage qui évoque à la fois le zoo, la caserne de pompiers et la prison, un troublant mélange de distinction et de brutalité. Les chics costumes de Marc Senécal viennent renforcer cette opposition. Pour nous rappeler que nous sommes quelque part dans les abîmes de la terre, il ne manquait que les inquiétantes vibrations dont le compositeur Robert Normandeau a le secret. On n’y passerait pas l’éternité.

Dans la peau des trois damnés, le journaliste, l’employée des postes et la riche mondaine, Patrice Robitaille, Pascale Bussières et Julie Le Breton sont impeccables. Chacun parvient à traduire, non sans humour, les tiraillements de son personnage, à s’adonner avec finesse au jeu de la séduction, celui des mensonges et des vérités, des coups bas et des caresses. La mécanique est implacable. Impossible de ne pas frissonner lorsqu’à la toute fin, l’étrange garçon d’étage, incarné avec grâce par le longiligne Sébastien Dodge, nous tend la main. Est-ce vraiment ce qui nous attend?