Le Patin Libre : Les rois de la glisse
La troupe Le Patin Libre donne une nouvelle dimension à l’expression "patinage artistique". À des années-lumière des costumes à paillettes, son créateur, Alexandre Hamel, nous cause tradition et ce qu’il faut d’efforts pour la réinventer.
"En français, on nomme le patinage de fantaisie de compétition "patinage artistique". En anglais, on utilise le terme figure skating, ce qui me paraît beaucoup plus juste, fait remarquer d’emblée Alexandre Hamel. Pour moi, le "patinage artistique", c’est plutôt ce que nous faisons, car nous l’utilisons comme un moyen d’expression, avec une liberté d’auteur totale." Le patineur a lui-même frayé dans le monde de la compétition, jusqu’à atteindre la finale des championnats canadiens, mais sans monter sur le podium… pour cause de manque de respect de la technique. Il a donc créé en 2005 la troupe Le Patin Libre, qui présente maintenant des spectacles d’envergure.
Si Alexandre a cru provoquer une révolution dans le monde du patin, il tempère aujourd’hui ses ardeurs: "Disons que je suis plus sage qu’auparavant. Le patinage traditionnel va continuer d’exister. C’est un milieu ultratraditionnel et les gens qui en font partie aiment cette tradition", dit-il. L’artiste observe tout de même un changement au sein du public qui assiste à ses représentations. "Il y a de plus en plus d’amateurs de théâtre qui viennent nous voir. On attire un public complètement différent de celui de Disney on Ice ou des compétitions sportives."
Ni brillants ni princesses
Oubliez les princesses, les brillants, les mascottes et les pirouettes parfaites, ce n’est pas ce que vous verrez dans le spectacle Ceci n’est pas un patin, le dernier-né de la troupe. Un poète raté, un punk, un infirme et une bum se retrouvent autour d’un feu de poubelle, vivent de belles et tragiques histoires, bref, entretiennent des relations humaines. Bien sûr, le langage des personnages passe à travers des figures: acrobaties périlleuses, crachement de feu et voltige aérienne. S’inspirant de troupes de cirque comme Les 7 Doigts de la main, le groupe intègre les numéros dans une mise en scène théâtrale.
"On se fait toujours dire: "Tu fais de belles pirouettes, tu sautes vraiment haut!" Avec ce spectacle, le but n’est plus seulement d’impressionner, mais bien de raconter une histoire et de toucher les gens", mentionne le fondateur de la troupe. Depuis la création du Patin Libre, Alexandre se bat pour son statut d’artiste. Cette année, on peut dire qu’il a gagné une partie de sa bataille puisque lui et les autres membres de sa troupe sont devenus les premiers patineurs au pays à être reconnus comme artistes professionnels par le Conseil des Arts du Canada.
Liberté de style
Il est toutefois encore difficile de changer les mentalités et de convaincre que le patinage peut être considéré comme un art de la scène. La relève est difficile à recruter: "Même si les jeunes qui nous voient sont inspirés et ont envie d’essayer, il faut convaincre les parents. C’est tout un défi pour une maman que d’abandonner son rêve de voir sa fille en princesse brillante gagner des médailles, et de la laisser patiner sur sa musique hip-hop préférée", note Alexandre avec une pointe d’humour. Il glisse également que le patinage est un sport très lucratif et que les professeurs ne sont pas enclins à encourager leurs athlètes à s’aventurer de l’autre côté.
Le patineur s’interroge sur la liberté des hommes dans le milieu du patinage artistique. Il rêve de voir ces derniers s’exprimer librement, même si leur style est marginal et s’éloigne de celui du "gendre idéal". Il souligne au passage le courage de Johnny Weir, le patineur dont les costumes extravagants ont tant fait jaser aux derniers J.O.: "Je l’engagerais n’importe quand dans ma troupe! Il se fait du fun avec le patin, tout comme moi. Je trouve ça dommage qu’il n’ait que les compétitions pour présenter son art, qu’il n’ait pas une scène avec un public prêt à applaudir la grandeur de son talent." L’important pour Alexandre, c’est simplement de rester soi-même. "En tant que garçon, dès que tu fais du patin, tu es adulé par les dames qui te mettent des costumes à paillettes et te disent que tu es beau et bon. J’espère que les patineurs vont comprendre qu’ils peuvent être eux-mêmes et patiner autrement, qu’ils ne sont pas obligés d’être le prince charmant parfait qu’on leur demande d’être", conclut-il.