Jean-Philippe Joubert : Tableau de contrôle
Scène

Jean-Philippe Joubert : Tableau de contrôle

Jean-Philippe Joubert a accepté de mettre en scène L’École des femmes de Molière parce qu’il lui trouvait des résonances actuelles. Transposition dans un univers musulman.

Quand Jacques Leblanc l’a contacté pour lui offrir de mettre en scène L’École des femmes, Jean-Philippe Joubert a été très surpris. "C’est une affaire que je n’aurais jamais imaginé monter, précise-t-il. Je n’ai aucune affinité de base avec Molière. Mais la pièce m’a vraiment happé et j’ai pensé: "Oui, j’ai quelque chose à dire avec ça.""

Cette histoire d’enfermement, de contrôle a effectivement des échos actuels. Arnolphe y garde dans l’ignorance et à l’abri du monde une jeune femme qu’il a prise en charge lorsqu’elle était enfant. Il exerce sur elle un pouvoir absolu, et ce, afin de s’assurer qu’il ne sera jamais cocu une fois qu’il l’aura mariée. Il a d’ailleurs imaginé un lot de maximes auxquelles elle devra se soumettre, dont: "Sous sa coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne, / Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups, / Car pour bien plaire à son époux, / Elle ne doit plaire à personne." Vous voyez le portrait…

On comprend aisément qu’à la lecture du texte, Jean-Philippe Joubert se soit remémoré une scène qui l’avait beaucoup troublé. "J’étais à la Gare du Nord à Londres; j’ai vu trois femmes avec le niqab qui poussaient des chariots pleins de gros bagages et trois hommes qui les suivaient." Cette image s’est donc trouvée à l’origine de son projet de mise en scène, qui transpose les événements dans un milieu musulman.

"Ça nous a obligés à nous poser beaucoup de questions éthiques, observe-t-il. Il faut toujours s’interroger sur le pourquoi des choix qu’on fait. C’est le plus grand défi, mais aussi le plus grand intérêt de l’exercice. Parce qu’on est toujours en train de s’interroger sur l’oeuvre qu’on monte par rapport à la société dans laquelle on vit." Un travail se rapprochant de celui qu’il a réalisé pour Si tu veux être mon amie, relatant la correspondance entre une Palestinienne et une Israélienne.

Autant dire qu’il aime chercher le moyen de traiter avec doigté des sujets délicats. Sa proposition n’a donc rien d’une charge à fond de train. Au contraire, il décrit l’ensemble comme "un tableau très beau, très chaleureux, mais avec une tache dont on rit, c’est-à-dire Arnolphe et l’extrémisme de sa logique". "Je voulais que le spectacle soit un hommage à tout ce que, de notre point de vue, on aime de la culture musulmane, explique-t-il. Elle me fait rêver; je désirais que ce soit dans cet esprit."

Quant à l’humour, il le juge très humain, profond, parfois dérangeant. "On n’est pas dans la comédie classique où tout est censé être drôle; il y a vraiment un choc entre drame, peur, rire, etc. C’est pourquoi il est important de jouer cette pièce et non un Molière." Mot d’ordre ayant d’ailleurs été passé à l’équipe dès le départ. Enfin, il croit que sa lecture peut amener le même genre d’effet libérateur qu’une émission comme Little Mosque on the Prairie. "On aime rire de ce qui nous dérange, ça fait du bien", conclut-il.