Marcel Pomerlo : Faire son deuil
Sous la bannière du Groupe de la Veillée, Marcel Pomerlo signe la mise en scène de Sonate d’automne, un texte bouleversant d’Ingmar Bergman.
Ce n’est pas tous les jours qu’un texte de l’auteur, metteur en scène et cinéaste Ingmar Bergman est monté au Québec. Il y a peut-être un manque d’intérêt de la part de certains de nos directeurs artistiques, mais il y a surtout de longues étapes à franchir pour obtenir les droits. Particulièrement déterminée, l’équipe de la Veillée a mis presque un an à gagner la confiance des ayants droit du créateur suédois décédé en 2007.
Quand on a proposé à Marcel Pomerlo de diriger un spectacle sous la bannière de la Veillée, l’homme a tout de suite pensé à Sonate d’automne. Il faut dire que le scénario de Bergman, traduit par Carl Gustaf Bjurstöm et Lucie Albertini, publié chez Gallimard, cadre fort bien avec l’esprit de la maison maintenant dirigée par Carmen Jolin. Mais la vraie raison, c’est que du film sorti en 1977, Pomerlo garde un souvenir chargé d’émotions.
"J’avais 15 ans quand j’ai vu Sonate d’automne pour la première fois. C’était peu de temps après la mort de mon frère. J’avais l’impression de comprendre totalement les troubles des personnages. Ça ne m’apparaissait pas du tout comme un film pour adultes avertis. À vrai dire, j’ai été, très jeune, dès l’âge de 10 ans, profondément interpellé par les films de Bergman. Pendant presque 70 ans, l’homme a creusé sans relâche et avec beaucoup de lucidité les démons de l’être humain. Ma fascination pour son oeuvre, où la mort est toujours présente, au propre comme au figuré, ne s’est jamais démentie. Je n’ai jamais cessé d’y revenir."
Ce n’est donc pas d’hier que Pomerlo caresse le rêve de faire un spectacle de théâtre avec le scénario de Sonate d’automne. "Je relis le texte depuis si longtemps que j’ai réussi à oublier le film. Comme le disait Bergman, le cinéma est avant tout du théâtre. Ce scénario est écrit comme une pièce, en 20 tableaux, avec des personnages très puissants. C’est une vraie tragédie, ne serait-ce que formellement. Le passage au théâtre va donc de soi. Cela dit, le théâtre appelle quelque chose de plus épuré que le cinéma. J’ai donc choisi de transposer l’action dans un espace qui n’est pas complètement réaliste."
Douloureuses et salvatrices retrouvailles
Eva (Marie-France Marcotte) vit en Norvège dans un presbytère isolé auprès de Viktor (Gabriel Arcand), son mari, pasteur, et de Lena, sa soeur (Chantal Dumoulin), physiquement handicapée. Il y a sept ans qu’Eva n’a pas vu sa mère, Charlotte, une pianiste de renommée internationale (Andrée Lachapelle). Vous vous en doutez, les retrouvailles ne seront pas de tout repos. Truffées d’affrontements. C’est que les blessures, les deuils et les incapacités affectives sont multiples chez les membres de ce clan.
"Je pensais à ce quatuor dès le départ, lance Pomerlo. Ça prenait des acteurs bergmaniens. Il y a de très grands acteurs qui ne sont pas capables de jouer Bergman. C’est comme une musique. En plus, il y a entre ceux que j’ai choisis une totale cohérence de liens filiaux. C’était essentiel pour moi qu’ils imposent quelque chose, naturellement." Le metteur en scène avoue être assez exigeant en ce qui concerne le niveau de jeu. "Je veux très peu de gestes, des expressions extrêmement pures, pas de commentaires, de tics… En faisant ce nettoyage, tout d’un coup, la partition s’ouvre. C’est-à-dire qu’il y a une histoire racontée, très construite, très précise, très bien écrite, mais le reste appartient au public. Il y a un espace pour le spectateur. C’est très important pour moi que tout ne soit pas noir et blanc. Je ne veux pas qu’on prenne partie pour l’une ou pour l’autre. On n’a pas affaire à des figures antagonistes du type bourreau-victime. C’est beaucoup plus complexe, plus fondamental que ça."
Si la question du pardon est cruciale dans l’oeuvre, ce qui préoccupe tout particulièrement le metteur en scène, c’est la notion de deuil. "Ce que l’on perd, par la mort ou par le temps, est-ce que l’on peut, de quelque façon que ce soit, le retrouver? Qu’est-ce qu’on fait de nos deuils? Comment on les traverse? Comment on les dépasse pour trouver une sérénité? Je pense qu’il y a un moment où il faut parler, où il faut dire les choses, les proférer, faire des révélations, aussi cruelles et violentes soient-elles, laisser tomber les masques."