Toc toc : Dans l'oeil de la tornade
Scène

Toc toc : Dans l’oeil de la tornade

Marcel Leboeuf, malgré un horaire chargé, plonge quelques instants dans l’univers cocasse de Toc toc. Entretien.

Joint au téléphone une première fois, Marcel Leboeuf semble vaguement se souvenir qu’il avait une entrevue ce matin-là. Divisé entre notre entretien et des trucs urgents à régler, il demande donc de rappeler une quinzaine de minutes plus tard. Ça bouge toujours autant lors du second coup de fil. Mais cette fois, le comédien arrête la tornade quelques instants pour discuter de Toc toc, une pièce de Laurent Baffie, adaptée par Jean-Philippe Pearson, dans laquelle il joue depuis maintenant presque trois ans.

Mise en scène par Carl Béchard, Toc toc entraîne les spectateurs dans la salle d’attente du Dr Stern. Là, sous l’oeil de son assistante (Amélie Dallaire), sont réunis six patients qui espèrent du réputé spécialiste un remède à leur trouble obsessionnel compulsif (TOC). "On dit que les gens souffrent de TOC si ça accapare plus d’une heure de leur journée, signale l’homme de théâtre. Vous êtes quelqu’un qui a l’impression que vos portes ne sont jamais fermées à clef et vous sortez et revenez à la maison quatre, cinq, six ou dix fois? Si ça a gâché une heure de votre journée, là, il faut aller consulter! Et des TOC, il y en a à l’infini!"

Pour Marcel Leboeuf, qui incarne Laurent, un chauffeur de taxi, ce mal consiste en l’arithmomanie (ou l’obsession des chiffres): "C’est sa femme qui l’envoie là. Lui, il dit aux autres qu’il n’est pas malade, que ce n’est pas lui le problème, que c’est sa femme. Par ailleurs, il trouve que les autres sont fuckés en tabarouette. Il faut le voir interagir avec les autres personnages… En même temps, Laurent est fucké aussi. Il a besoin d’aide en sacrifice, mais il ne le voit pas, ça. Il voit le petit grain de sable dans l’oeil de l’autre, mais il ne voit pas celui qui est dans le sien."

Parmi les autres TOC qui sont exploités durant la représentation, il y a le syndrome Gilles de la Tourette (Edgar Fruitier), la nosophobie ou la peur des maladies (Danièle Laurin), le TOC de vérification (Élisabeth Chouvalidzé), la palilalie ou la répétition sans arrêt (Anne-Élisabeth Bossé) et la peur des lignes (Olivier Morin). "Un médecin est venu en répétition pour nous parler un petit peu du genre de personnes qu’il pouvait soigner. Les TOC qui sont dans la pièce sont assez communs. Mais il y a des gens qui ont des choses très particulières. Je vais vous donner un exemple. Il y a une dame qui, quand elle descendait à Québec – disons qu’elle partait de Montréal sur l’autoroute 20 -, dès qu’elle était rendue à Acton Vale, elle était certaine d’avoir frappé quelqu’un. Elle revenait donc sur ses pas pour voir où elle l’avait frappé. Puis, en revenant sur ses pas, elle était certaine qu’elle en avait frappé un autre. Elle faisait ça des journées complètes. Au début, sa famille se demandait où elle était, ce qu’elle faisait. Et souvent la dame manquait d’essence… Mais c’était tellement fort, elle était tellement certaine d’avoir tué quelqu’un qu’il fallait qu’elle aille voir. Imaginez-vous!"

Tissé serré

Jadis de la distribution, Pascale Montpetit a déjà comparé Toc toc à un jazz. C’est que les protagonistes, qui sont sur scène du début à la fin du spectacle, se donnent constamment la réplique. Et les interventions arrivent de partout. Un peu plus de deux ans et demi après la première au Monument-National, à Montréal, leur travail comme comédien est-il toujours aussi exigeant? "Oui, c’est toujours le même défi. Le monde nous demande: "Improvisez-vous? Rajoutez-vous des affaires?" Non, on ne peut pas se permettre ça. C’est une pièce qui est écrite trop serré pour pouvoir commencer à faire ça. C’est sûr que parfois quelqu’un va nous faire rire, parce qu’il dit quelque chose d’une façon différente. Mais ça demande une telle concentration qu’il n’y a pas de place pour les fous rires ou des choses comme ça", indique celui qui possède un petit vignoble. Puis, il ajoute: "J’en ai fait souvent, du théâtre. J’en ai aussi fait l’été; j’ai été propriétaire d’un théâtre pendant 16 ans. Et nos pièces, c’était des pièces ben, ben physiques. Mais j’avoue que là, je mouille ma chemise en sacrifice, et comme jamais je ne l’ai mouillée! C’est vraiment sportif comme affaire. Et, tu sais, pour Edgar Fruitier et Elizabeth Chouvalidzé – ce n’est pas que je veux les traiter de vieux, mais ils ne vont pas en rajeunissant, Edgar va avoir 80 ans au mois de mai -, c’est quelque chose!"

Une pièce qui fait du bien

Il semble que quelque 5 % de la population souffre ou va souffrir d’un trouble obsessionnel compulsif au cours de sa vie. Un chiffre petit et énorme à la fois. Ainsi, sait-il si des personnes aux prises avec cette maladie ont déjà assisté au spectacle? "On a eu un petit garçon de 12 ans, à un moment donné, qui souffrait du syndrome de la Tourette et qui faisait rire de lui à l’école. Il est arrivé dans les loges en pleurant et il nous a dit: "C’est comme si j’avais de nouveaux amis." C’est comme si l’on comprenait enfin de quoi il souffrait. Que les gens aient du fun durant la pièce, qu’ils rient et qu’ils soient touchés, ça lui a fait du bien. Des témoignages comme ça, on en a presque tous les soirs."