Fanny Britt : Amours tragiques
Après Hôtel Pacifique, le Théâtre Debout nous offre Enquête sur le pire. On en parle avec Fanny Britt, l’auteure attitrée de la compagnie.
S’il est drôle, joyeusement satirique, cinglant, critique, comme dans Couche avec moi (c’est l’hiver), le ton que Fanny Britt emploie dans Enquête sur le pire est aussi plus grave qu’à l’habitude. Mise en scène par Geoffrey Gaquère, la pièce raconte les déboires d’une femme dans la fin trentaine. Elle est angoissée, anxieuse et agoraphobe, totalement bouleversée par une rupture amoureuse. Difficile de ne pas remarquer quelques ressemblances avec le personnage qui est au coeur de Douleur exquise, ce livre de Sophie Calle dont l’adaptation par Brigitte Haentjens et Anne-Marie Cadieux est présentée ces jours-ci sur la scène du Quat’Sous. C’est ce qu’on appelle une belle coïncidence.
Animatrice et productrice télé, Élisabeth Racine, dite Bébé (Johanne Haberlin), est hantée par le fantôme de sa mère (Josée Deschênes), morte trop jeune, mais aussi par celui de sa tout aussi défunte relation avec Paul (Steve Laplante), un médecin qui ne pouvait plus supporter son instabilité psychologique. Pour lui changer les idées, il y a Raymond, son agent (Christian Bégin), et Ileana (Alexia Bürger), une Roumaine passionnée d’histoire de l’art qui travaille au café situé en bas de chez elle. "Au départ, explique l’auteure, la pièce mettait en scène deux soeurs et elle était très axée sur l’hypocondrie. Il s’agissait presque de théâtre documentaire. Peu à peu, ça s’est transformé en quelque chose de plus personnel, de plus intime, une histoire d’amour et de peine d’amour qui a des allures de tragédie."
Ainsi, la relation entre Bébé, la Québécoise qui a tout sauf l’amour, et Ileana, la Roumaine qui a dû refaire sa vie loin de chez elle, est cruciale. Leur amitié est faite de bienveillance, mais aussi, on le découvrira, de mensonge et de trahison. "Cette relation me permet d’aborder la ressemblance et l’altérité, explique Britt. J’avais vraiment besoin de créer ce rapport entre le personnage principal et une étrangère. J’aimais le contraste entre la grande aux prises avec ses angoisses et la petite qui est lumineuse et qui porte tout ça à l’extérieur d’elle. Alors que la première n’arrive pas à gérer sa petite peine d’amour, la seconde arrive à composer avec l’exil et ses terribles souvenirs du régime communiste."
Un monstre
Fanny Britt n’hésite pas à qualifier son héroïne de monstre. "Elle est insupportable. C’est le personnage que j’aime le moins parmi ceux que j’ai écrits, alors que c’est clairement celui qui me ressemble le plus. À l’intérieur, je pense qu’on est plusieurs à être des monstres. Des monstres d’égo qui trouvent que leur douleur est tellement grave, tellement digne d’intérêt. Il faut admettre que c’est assez théâtral, un monstre."
Ce comportement, la jeune femme est la première à reconnaître qu’il est condamnable, épouvantable, et aussi éminemment nord-américain. "L’angoisse, l’anxiété, ce sont des maladies du luxe. On est anxieux parce qu’on peut se le permettre, parce qu’on est privilégié. Il faut avoir le temps pour s’inquiéter de la sorte. Quand on est vraiment en danger, on n’a pas le temps de penser, juste le temps d’agir. Pour moi, c’est un symbole fort de notre égocentrisme."
Mais pourquoi avoir choisi de soumettre son personnage à une peine d’amour? Pourquoi pas la maladie ou la mort? "La peine d’amour est une chose dont on se remet, lance la principale intéressée. C’est dur, ce que je dis, mais c’est vrai. On survit à ça! Notre réaction est ridicule par rapport à ce qui est vécu. On finit toujours par rencontrer quelqu’un d’autre. Je sais bien qu’il y a une vraie détresse, une vraie tragédie dans la peine d’amour, mais je pense que c’est encore plus tragique de juste s’en remettre."
Debout bien droit
Avec Geoffrey Gaquère et Johanne Haberlin, Fanny Britt a fondé en 2008 le Théâtre Debout, dans le but de faire un théâtre "pertinent et intimement engagé", un théâtre "utile comme un verre d’eau à la figure". Comment situer Enquête sur le pire par rapport à Hôtel Pacifique, le premier texte créé par la compagnie en 2009? "Les deux pièces semblent assez différentes, mais elles présentent en fait une certaine parenté, estime l’auteure attitrée du Théâtre Debout. Dans les deux cas, je m’éloigne de ce que j’ai fait avec Couche avec moi (c’est l’hiver), c’est-à-dire un constat de génération. Bébé a presque 40 ans, mais elle pourrait en avoir 50 ou 25. Ce qu’elle traverse est une chose intime, pas collective ou générationnelle."
L’auteure s’avoue aussi moins provocante qu’elle ne l’a déjà été. "Je pense que je m’éloigne du cru. C’est toujours cru au sens où on entre dans la laideur du personnage, mais on n’est plus dans des considérations sur la vie sexuelle et les rapports amoureux. Je suis très contente de ça, parce que j’avais peur de me répéter. C’est aussi pour cette raison que je suis allée du côté des fantômes: pour sortir du réalisme, m’éloigner du psychologique pour aller vers le psychique. Je suis beaucoup là-dedans ces temps-ci. Ma prochaine pièce sera aussi une exploration de la psyché."