Suzanne Lebeau : L'Obéissance
Scène

Suzanne Lebeau : L’Obéissance

Avec Le Bruit des os qui craquent, Suzanne Lebeau dépeint, sans détour, le terrible vécu des enfants soldats.

Par le regard qu’il pose sur l’enfance, le Carrousel se démarque depuis 35 ans sur les scènes nationales et internationales. Cofondatrice de cette compagnie qui met au coeur de sa démarche artistique la question "Quoi dire aux enfants?" et interroge la place de l’enfant dans le monde, Suzanne Lebeau est reconnue mondialement comme l’un des chefs de file de la dramaturgie pour jeunes publics, en plus de compter parmi les auteurs québécois les plus joués à travers le monde. Ces jours-ci, la créatrice dévoile aux Trifluviens le fruit de sa réflexion sur les enfants soldats, une pièce intitulée Le Bruit des os qui craquent. Gervais Gaudreault, éternel complice de l’auteure, est à la mise en scène.

C’est Child Soldiers, un documentaire australien réalisé en 2002, qui a déclenché l’écriture de la pièce. "C’est comme si on m’avait planté un poignard en plein milieu du ventre, lance Lebeau en parlant du moment où elle a vu le film qui a exigé cinq années de tournage sur tous les continents. On arrive au point extrême. C’est-à-dire à un concentré de tous les abus qu’on peut infliger aux enfants. Tout. Le vol, le viol, la séquestration, l’humiliation, la violence verbale, la violence physique, la violence sexuelle… Tout! Alors qu’ils sont en train de développer tous leurs repères moraux, on met des enfants dans la situation la plus impossible de toutes, être victime et bourreau en même temps. C’est épouvantable."

En cours d’écriture, l’auteure ne cesse d’en apprendre sur la douleur des enfants soldats. Les statistiques et les témoignages s’accumulent, repoussant les limites de l’horreur. "Longtemps, je n’ai pas réussi à croire à la résilience. C’est tellement fort, le contrôle de l’adulte sur l’enfant. Démesuré. On peut leur faire faire n’importe quoi. Quand je suis incapable d’oublier des images ou un certain questionnement, qu’une problématique revient toujours à la surface, alors je sais qu’il faut que je passe au travers. C’est le seul moyen d’arriver à écrire. Il fallait plonger, et c’est ce que j’ai fait."

Plonger, dans ce cas-ci, ça signifiait se rendre sur le terrain. Pour voir, ressentir, comprendre un peu mieux. Suzanne Lebeau est donc allée en République démocratique du Congo, à Kinshasa, où elle a rencontré Amisi et Yaoundé, deux jeunes hommes qui ont été enfants soldats de 12 à 17 ans. "Je sais qu’ils ont tué, violé, pillé, incendié, écrit-elle dans le dossier de presse du spectacle. Ils me l’ont raconté. Ils ont maintenant 20 ans. Ils sont humains, jeunes, forts, tendres, doués et… ils rêvent d’avenir… comme tous les jeunes de leur âge, avec un large trou dans leurs souvenirs d’enfance et la conviction qu’ils ne tiendront plus jamais une arme dans leurs mains."

En écoutant Amisi et Yaoundé, l’auteure a commencé à croire qu’une guérison était possible, que le pardon était envisageable, qu’un certain retour à la vie pouvait s’effectuer. Écrire est alors devenu un devoir. Celui de décrire la réalité, ses ombres, mais aussi ses lumières, aussi faibles soient-elles. "Devant cette situation, on se sent responsables, coupables et surtout tellement impuissants. Il faut parler. Notre silence cautionne tout cela. Écrire cette pièce, ça a été ma manière à moi de faire quelque chose."