Carl Béchard : Marchand de canons
Seize ans après une première mise en scène du collage Et Vian! dans la gueule avec le groupe Audubon, Carl Béchard récidive sur la scène du TNM. Du Boris Vian dans toute sa fougue et sa jeunesse.
S’ils avaient pu se rencontrer, Carl Béchard et Boris Vian auraient sans doute été de connivence. Le metteur en scène partage du moins une longue histoire avec l’oeuvre du poète et romancier de l’entre-deux-guerres. La première fois qu’il s’y est pleinement frotté, c’était il y a 18 ans avec un groupe de cégépiens de Saint-Hyacinthe, avant de reprendre leur fameux collage deux ans plus tard au Théâtre La Chapelle.
Pour Béchard, habitué au répertoire des pataphysiciens à cause de son travail avec Denis Marleau au Théâtre Ubu, le mariage était tout naturel. À bien y penser, ça remonte à plus loin que ça. Adolescent, amateur de bandes dessinées, il se délectait déjà des univers fantaisistes de Vian et de sa singulière poésie, qu’il voyait à l’époque comme une écriture très bédéesque. "Dans L’Écume des jours, par exemple, on sent que le décor s’anime presque comme dans un cartoon."
Remonter aujourd’hui son collage, qu’il a évidemment remanié, le propulse dans une énergie très adolescente. Si le processus est éreintant pour l’équipe, à cause de la partition physique mais aussi parce qu’il a fallu remplacer à trois semaines de la première le comédien Pierre Lebeau par Marc Béland, le premier ayant dû se retirer pour des raisons de santé, il a aussi fallu retrouver le souffle rebelle de la jeunesse. "Boris Vian était un éternel revendicateur. Cette période de l’entre-deux-guerres est fascinante, on y remet en question la géopolitique et les frontières, ainsi que les dogmes religieux, artistiques, et philosophiques. Le discours antimilitariste de Vian est au centre de mon collage, s’interrogeant sur le fait que des dirigeants lancent des guerres pour relancer l’industrie."
Pas trop difficile de se remettre dans le bain, cela dit, car Boris Vian est tout sauf dépassé. "Les pataphysiciens observaient le monde comme un ensemble très complexe, exactement comme ce qu’il est devenu aujourd’hui, et comme le disent maintenant les physiciens quantiques. En pataphysique, le jeu n’est jamais unidimensionnel, voguant entre clown et tragédie. Vian ne veut pas juste dénoncer la guerre, il veut aussi promouvoir la nature positive et heureuse de l’humain. La pataphysique rejette tout manichéisme et inclut toujours les contradictions et les exceptions."