Douleur exquise : Sur le même t'aime
Scène

Douleur exquise : Sur le même t’aime

Rencontre entre les obsessions de Sophie Calle et celles de Brigitte Haentjens, Douleur exquise est une expérience sombre et pourtant vivifiante.

D’emblée, il faut le dire, l’appropriation par la metteure en scène Brigitte Haentjens du livre de l’artiste visuelle française Sophie Calle n’est pas à la hauteur de celle qu’elle fit du roman de l’États-Unienne Sylvia Plath. Si on ne peut s’empêcher de les comparer, les deux coproductions de Sibyllines avec le Quat’Sous ne sont pas du même calibre, n’ont pas la même résonance. Dans La Cloche de verre, le mal de vivre était viscéral, immense, tragique. Dans Douleur exquise, la souffrance est plus anecdotique, aiguë, très aiguë même, mais passagère.

Défendu avec brio par Céline Bonnier, le premier solo était un coup au coeur, un vertige. Le second est moins percutant, mais bien plus contrasté. Une femme au bord de l’abîme, dévastée par la trahison, l’abandon, une rupture bâclée, revient de manière obsessionnelle sur le cours des événements. Trente-cinq fois l’héroïne reformule le moment de la rupture, ressasse sa douleur, énonce et dénonce les faits. Ses répétitions, éternelles variations sur le même thème, donnent au spectacle des airs d’exercice de style. Mais soyons clair, l’exercice a beau être formel, il n’en est pas moins captivant.

On ne pardonne toujours pas à la metteure en scène d’avoir retiré, dans son adaptation, la majeure partie des contrepoints extérieurs à la douleur du personnage principal. Ainsi, la participation de Pierre-Antoine Lasnier, Ginette Morin, Gaétan Nadeau et Paul Savoie apparaît toujours superflue. Il nous semble qu’il aurait fallu garder toutes les voix qui ponctuaient l’ouvrage, ou alors s’en affranchir complètement. Cela dit, le spectacle a pris du galon depuis sa création lors du dernier Festival TransAmériques. Les changements sont subtils, concernent surtout le rythme, mais ils sont appréciables.

Dans la peine d’amour de son personnage, Anne-Marie Cadieux s’engouffre corps et âme. Sans complaisance, mais avec un certain plaisir, un épanchement cathartique, la douleur est méticuleusement fouillée, finement traduite par le corps. Sans juger, sans discréditer, sans récuser, la comédienne exprime les multiples facettes de la souffrance – du raffinement à la rage, du désespoir à la dérision – avec une admirable ferveur. Du grand art.