Entracte / Wajdi Mouawad : Du deuil et de l’adolescence
Public intransigeant, les adolescents sont gâtés côté productions théâtrales pour la nouvelle édition d’Entracte à la Maison des arts de Laval. Le premier texte de Wajdi Mouawad pour le public jeunesse, Pacamambo, y est présenté, 10 ans après sa création.
Pacamambo était une commande. Il le fallait puisque Wajdi Mouawad n’écrit jamais en s’interrogeant pour qui il écrit. Il écrit, point. Le théâtre de L’Arrière Scène l’a donc invité en 2000 à écrire un texte pour les jeunes âgés de 12 ans et plus. Dix jours avant l’échéance, l’auteur s’est mis à l’écriture de Pacamambo, une tragédie pour enfants. "C’est touchant de voir que cette pièce vit encore dix ans plus tard, surtout quand on compare le temps de création et la longévité", commente Wajdi Mouawad en direct de Paris où il joue dans une adaptation des Justes d’Albert Camus. À l’époque, il venait de mettre le point final à sa pièce Littoral et se livrait à une lecture quotidienne du roman La Vie devant soi de Romain Gary pour une émission de radio. C’est à partir de ces deux textes qu’est née Pacamambo, l’histoire d’une petite fille confrontée au décès de sa grand-mère.
"Littoral raconte l’histoire d’un jeune homme qui cherche un endroit où enterrer son père, avec une touche fantastique. L’apport de La Vie devant soi, c’est cette obstination à vouloir conserver le corps de celui qu’on aime en le maquillant." En remontant ainsi dans le temps, Wajdi Mouawad se remémore son intention première: "En fait, je voulais écrire une pièce sur le génocide rwandais. L’équipe de L’Arrière Scène m’avait alors confié qu’elle aurait de la difficulté à faire tourner un spectacle comme ça auprès des enseignants et des parents. La question de la mort est toujours très délicate à aborder." Il a finalement réorienté son texte en conservant la thématique dramatique du décès. La réaction du public jeunesse à la première de la pièce a confirmé la justesse de son propos: "J’étais heureusement surpris de voir l’intelligence du spectateur qui était tout à fait en mesure d’exprimer ce qu’il ressentait par rapport à la notion de la mort. J’étais aussi heureux de voir les professeurs faire preuve d’une grande sensibilité."
L’enseignant entre l’auteur et l’ado
Là est le nerf de la guerre en matière de théâtre pour adolescents: réussir à rejoindre le public cible en convainquant ceux qui lui donnent accès au produit. "C’est le lot de toutes les compagnies jeunesse. En tant qu’adulte, il n’y a personne qui va vous dire: vous devriez aller voir ça ou ceci n’est pas bon pour vous. Pour les ados, il y a des filtres dans le réseau scolaire puisque ce sont les enseignants qui décident." Wajdi Mouawad croit qu’il faut faire face à cette difficulté et tenter de la contourner par tous les moyens possibles. L’auteur doit garder en tête cette forme de censure potentielle pour arriver à atteindre le public jeunesse.
Beaucoup de chemin a toutefois été parcouru depuis la création de Pacamambo. On n’a qu’à penser à la superbe pièce de Suzanne Lebeau, Le Bruit des os qui craquent, qui parle des enfants soldats. "Ce que je constate, c’est que la notion de subversion est centrale. Il n’y a rien de plus subversif qu’un enfant et, à la fois, il n’y a rien de plus conservateur", explique Wajdi en s’inspirant de son expérience comme directeur du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa. N’allez surtout pas lui raconter que l’attention des adolescents d’aujourd’hui est plus difficile à capter qu’autrefois. "Un adolescent, c’est simplement quelqu’un qui prend conscience que l’enfance est derrière lui et qui en ressent une nostalgie profonde et violente, ne sachant pas encore quel adulte il est." Cette part de révolte fait de l’adolescent un spectateur qui n’a pas de temps à perdre. Wajdi Mouawad l’a bien compris. Pacamambo répond à cette exigence.
Entracte
À voir également à ce rendez-vous du théâtre adolescent qu’est Entracte: le Théâtre Le Clou s’intéresse aussi à la question du deuil avec Isberg de l’auteur Pascal Brullemans. Cette pièce prend le parti de la résilience devant le choc énorme qu’est celui de perdre ses parents. Trois adolescents sont confrontés à cette réalité à la suite d’un accident de voiture. Pour surmonter cette épreuve, les deux frères et leur petite soeur emménagent dans le sous-sol de leur famille d’accueil, refusant d’être séparés. La pièce rappelle vaguement la forme d’un iceberg qui dérive, sur une musique de Yann Perreau. Le 27 avril à 13 h et 28 avril à 10 h 30.