Trac: Ma vie en théâtrascope : Leblanc, clown noir
Patrice Leblanc laisse son porte-voix le temps d’incarner Trac dans une sulfureuse envolée théâtrale qui pourrait bien nous mettre chaos.
On l’a vu récemment faire un appel au soulèvement, porte-voix à la main, planté sur une scène de fortune. Révolté par la chute appréhendée du Théâtre du Saguenay (TDS), dans un élan passionné, Patrice Leblanc invitait ses concitoyens à participer à la Manifestation des bâillonnés, pour se délester d’un silence devenu trop lourd. Il était aussi aux premières loges lors de la déclamation du Manifeste du citoyen d’abord, faisant tonner le choeur de 200 voix s’engageant avec force: "Le citoyen va dorénavant dénoncer… Il va désormais prendre la parole!"
Sur la banquette d’une cantine de la rue Roussel, tandis que l’huile frétille sous la hotte commerciale derrière le comptoir, Patrice Leblanc fait des gestes amples, il est encore bouillant. C’est son tempérament, il ne s’en excusera pas.
TOUT BAIGNE DANS L’HUILE?
La question se pose. D’un côté, les uns nous disent que tout va pour le mieux. De l’autre, on s’insurge. Pourquoi s’engager dans une croisade comme celle qui a mobilisé tous ces volontaires autour du destin du Théâtre du Saguenay?
Lorsque la rumeur de la faillite précipitée du plus grand diffuseur de spectacles de la région a commencé à se propager, Leblanc a d’abord été frappé de voir que certaines personnes actives dans le milieu culturel depuis parfois 30 ans, en proie au découragement devant les événements qui secouaient Saguenay, pensaient quitter la région. "Jamais je n’aurais cru ça possible. Je me suis dit que si ces gens-là étaient prêts à partir, c’était parce que c’était quelque chose de grave. Pourtant, ce sont des gens qui sont de tous les combats, des gens qui sont toujours debout…"
Le dossier a été très prenant pour le comédien, au point où il a même dû retarder son spectacle d’une semaine. "C’était des réunions tous les jours. Parfois, c’était 50 courriels échangés quotidiennement. J’étais constamment là-dessus. C’est quelque chose de très prenant. Quand ça te tient à coeur…"
Malgré l’essoufflement, il n’est pas long avant de défendre sa prise de position: "On met en faillite un organisme qui a été créé par des bâtisseurs. Moi, je sais quel travail ça peut représenter. J’ai un petit organisme depuis cinq ans. Je connais toutes les heures qu’il faut faire bénévolement. Si on les avait comptées, le Faux Coffre serait en faillite. Le TDS a aujourd’hui 35 ans d’existence. Mais au départ, il y a eu des gens qui donnaient de leur temps sans compter. Qu’on leur enlève ça, pour moi, c’est aberrant."
Appelant toujours au dialogue, il continue de protester contre la création d’un nouvel organisme de diffusion par la Ville de Saguenay. "Il n’y a personne à la tête de Diffusion Saguenay qui soit compétent en diffusion. Il n’y a personne qui est du milieu culturel. Ils ont tout. Qu’ils nous laissent la culture."
AVOIR LE TRAC
Patrice Leblanc, c’est un humaniste. Celui qui avoue avoir pleuré en apprenant la mort de Pierre Falardeau et de Michel Chartrand s’insurge lui aussi contre l’injustice. "Ce qui se passe sur la planète, ce n’est pas logique. Il y a toutes les ressources pour que tout le monde boive, que tout le monde mange. Pourtant, ce n’est pas ce qui arrive. Ça me tue. Il faut dire, je suis un gars émotif. De la compassion, dans la vie, est-ce qu’il y en a encore? Moi, je chie dans de l’eau potable, ostie. Je chie dans l’eau potable! Il y a des millions de personnes qui tueraient pour boire l’eau qu’il y a dans ma toilette. Est-ce qu’on peut être conscient deux secondes de ce qu’on a?" Voilà un discours qui se rapproche de celui de son personnage: "Aucune demi-mesure. Aimer à mort, haïr à mort. C’est Ma vie en théâtrascope. Il n’y a rien de subtil. C’est des gros coups de poing sur la gueule."
Heureusement que Trac est là pour lui donner l’impression d’avancer: "Je suis content d’avoir cette espèce d’alter ego. Parce qu’autrement, il y a des affaires que je ne pourrais pas dire." Pour son spectacle solo, Trac: Ma vie en théâtrascope, deuxième d’une série de productions des fameux Clowns noirs qui vise à recueillir des fonds pour la réalisation d’un court métrage, Trac prendra le flambeau pour éclairer les recoins les plus sombres de notre société: politique fédérale, provinciale, municipale, religion, injustices sociales, tout y passera – ou presque. "Évidemment, je ne peux pas parler de tout. Parce que ça dépasserait en temps les shows de Robert Lepage… Il a fallu que je fasse des choix." Son engagement social et politique n’est donc pas accessoire, il fait même partie de sa démarche de création.
"L’un ne va pas sans l’autre. Je suis à la fois Trac et différent de lui."
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