Et Vian! dans la gueule : Jouer à la guerre
Scène

Et Vian! dans la gueule : Jouer à la guerre

Et Vian! dans la gueule rend à Boris Vian, à sa poésie, à son humour acide et dénonciateur un hommage senti mais bancal.

Avec cette nouvelle mouture d’un collage mis en scène en 1995 avec des finissants de l’option théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe réunis sous la bannière du groupe Audubon, le metteur en scène Carl Béchard renoue avec Boris Vian, avec ses observations cruelles et pourtant désopilantes sur la guerre, la religion, la logique militariste, l’économie et la corruption. Un univers qui fait rire et grincer des dents. Des politiciens sans vergogne, des généraux obéissants et des citoyens transformés en chair à canon, ça vous rappelle quelque chose?

Il faut être honnête, Le Goûter des généraux, la pièce qui est au coeur du collage, qui lui sert de colonne, est assez faible; toujours terriblement actuelle sur le fond mais plutôt mince du point de vue dramaturgique. Vian était un romancier et un chansonnier hors pair, plusieurs de ses poèmes sont superbes, poignants, mais son théâtre est moins remarquable. Les lacunes de la pièce, Béchard les perçoit comme des invitations à couper, puis à truffer la représentation de chansons, de poèmes et d’extraits de nouvelles.

Le procédé nous expose à certaines des plus belles pages de l’auteur des Fourmis, de La Java des bombes atomiques et de Je voudrais pas crever, mais ne sert pas toujours la trame narrative du spectacle qui prend ainsi, plus souvent qu’autrement, des allures de cabaret ou de récital de poésie. Autrement dit, le rythme est fluctuant; le fil narratif, souvent relâché. Les pièces du puzzle ne sont pas toujours bien emboîtées, et surtout, elles sont d’un inégal intérêt.

Le jazz, les percussions et le chant jouent un rôle important, mais leur apport n’est pas aussi jouissif que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Les trois musiciens présents sur scène enrobent l’action, l’accompagnent plus qu’ils ne la propulsent. On pense aux bruitages de certains dessins animés. Ajoutons que le soir de la première, de nombreux problèmes de micros sont survenus, troublant l’équilibre entre la musique et la voix.

L’aventure du général James Audubon Wilson de la Pétardière et de son entourage est pataphysique, grotesque, caricaturale, clownesque et satirique, un vrai festin pour des comédiens comme Pierre Chagnon et Pascale Montpetit, des poissons dans l’eau. Marie-Ève Beaulieu, Bénédicte Décary, Emmanuel Bilodeau et Alain Zouvi sont justes, mais moins truculents. La surprise, c’est Sylvie Drapeau. Dans ce registre qu’elle fréquente moins, la comédienne excelle. Sa Léone Plantin, présidente du Conseil, a de l’aplomb à revendre. La comédienne arrive même, au coeur de cette sombre bouffonnerie militaire, à nous émouvoir. Lorsqu’elle quitte son personnage coloré pour entonner "S’il pleuvait des larmes chaque fois que la mort brandissant ses armes fait sauter des décors…", on retient notre souffle.

Quant à Marc Béland, on se rappellera qu’il a repris le rôle d’Audubon à trois semaines d’avis. Le soir de la première, il lui arrivait de transporter son texte, plus par sécurité que par réelle nécessité. Son interprétation est sans fausse note, mais on ne peut s’empêcher de croire que, les mains libres, le comédien fera encore plus d’étincelles.