Nicola Cormier : Sonder l'inconnu
Scène

Nicola Cormier : Sonder l’inconnu

Ardent défenseur d’un théâtre de l’imaginaire, Nicola Cormier s’est inspiré des légendes tsiganes pour écrire et mettre en scène L’Apprentie.

Depuis 2007, les membres de Terra Incognita se consacrent à ce qu’ils appellent le théâtre de l’imaginaire. Pour Nicola Cormier, auteur et metteur en scène de L’Apprentie, le deuxième spectacle de la compagnie, qui prend ces jours-ci l’affiche du Théâtre de l’Esquisse, tout a commencé par un livre. "C’est la littérature qui m’a amené là où je suis aujourd’hui, par elle que j’ai goûté au fantastique et au merveilleux, grâce aux romans du Québécois Daniel Sernine que j’ai commencé à aimer lire."

Quelques années plus tard, entre les murs de l’UQAM, inscrit à la maîtrise en art dramatique, le jeune homme a l’idée de travailler sur le merveilleux au théâtre. "Il me fallait un sujet qui me tienne à coeur, qui m’allume. J’ai tout de suite pensé au fantastique. Puis, en fouillant dans le Dictionnaire du théâtre de Patrice Pavis, j’ai compris que la notion de merveilleux était plus globale que celle de fantastique. Le merveilleux est protéiforme, il a des incarnations très diverses."

Librement inspiré d’une trilogie du Canadien Guy Gavriel Kay, le projet de maîtrise de Cormier s’intitule Le Tisserand: création d’un spectacle du genre merveilleux suivie d’une réflexion sur le passage du merveilleux au théâtre. Une vocation était née. Peu de temps après, une compagnie voyait le jour. "J’essaie de me dégager de ce qu’on appelle la fantasy parce que, pour moi, le merveilleux, ce n’est pas que du Donjons et Dragons. J’ai choisi de me concentrer sur les légendes, les mythologies et les contes… C’est un terrain de jeux qui n’a pas de fin et qui est somme toute assez peu exploré au théâtre."

Une question de croyances

Après Une histoire de contes, un spectacle destiné aux 7 ans et plus présenté en 2008, Nicola Cormier s’apprête à dévoiler L’Apprentie, un spectacle pour deux comédiens (Sounia Balha et Denis Lavalou) et quatre voix (celles de Marie Turgeon, Catherine Ruel, Pierre-Olivier Champagne et Nicolas Germain-Marchand), qui, c’est important de le préciser, s’adresse à tous les publics. Sounia Balha est Lionara, une enfant des routes qui pourrait bien trouver en elle la force de freiner l’élan destructeur du dragon. Denis Lavalou est Matéo, un maître sorcier qui va guider Lionara sur la bonne voie. Dans cette histoire, où trois statues parlantes jouent un rôle clé, il est question de l’intrusion du divin et du surnaturel dans la vie quotidienne. Une chose tout à fait naturelle pour les Tsiganes.

Avec ses acolytes, le scénographe et concepteur sonore Maxime da Silva et la costumière et accessoiriste Emie Gagnon, Cormier a imaginé une expérience intimiste, sans marionnettes ou décor à grand déploiement, un spectacle qui s’appuie sur le réel pour mieux s’en affranchir. "En même temps que du mystère, explique l’auteur et metteur en scène, ça prend une bonne dose de réalisme et de vraisemblance pour emmener le spectateur dans le merveilleux. Dans L’Apprentie, j’ai essayé de ne pas préciser où on se trouve et quand l’action se déroule. On peut voir ça comme un monde quotidien ou imaginaire. Tout ce que je veux, c’est que les gens sentent le métissage de références à l’univers des Tsiganes, des gitans et des manouches."

Dans une citation tirée d’un livre de Marc-Louis Questin intitulé ABC de la magie tsigane, Cormier voit sa démarche cautionnée: "Se passionner pour de telles traditions n’est jamais innocent. L’instinct qui nous pousse à vouloir mieux comprendre le mode de vie ancestral des Tsiganes provient directement de notre soif de liberté, d’amour, de beauté et de justice."

Nouveau public

S’inscrire dans un créneau aussi précis, pour ne pas dire pointu, que le théâtre de l’imaginaire, c’est un geste audacieux de la part d’un jeune créateur. Mais ne dit-on pas que l’avenir, après avoir été dans le généralisme, est maintenant dans la spécialisation? Si certains spectateurs seront repoussés par la proposition, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle va aussi entraîner au théâtre des gens qui y vont peu ou pas. Cormier n’est pas contre: "On a eu droit à un article dans le numéro 173 de Solaris, une revue qui s’adresse aux amateurs de littérature fantastique et de science-fiction. Ça va peut-être nous emmener un nouveau public. En tout cas, je l’espère!"

L’Apprentie pourrait bien être le premier volet d’un triptyque consacré à la culture tsigane. Le second chapitre devrait s’appeler Les Enfants des routes et s’inspirer des livres dont vous êtes le héros. Pour en savoir plus sur le spectacle et la compagnie, consultez le terraincognita-cc.blogspot.com.