Totem : Couleurs unies
Avec Totem, croisement de créatures et de cultures, de tonalités et de disciplines, Robert Lepage et le Cirque du Soleil rendent un vibrant hommage à notre planète.
Défendu par 52 artistes, le spectacle orchestré par Robert Lepage pour le Cirque du Soleil se déroule sur une île, un morceau de terre entouré d’eau, un microcosme où se côtoient dans une admirable harmonie les espèces les plus bigarrées. Vous aurez compris que cette île luxuriante est une métaphore, qu’elle représente notre planète flottant dans l’immensité de l’Univers, une sphère peuplée d’espèces dont on ne sait plus trop, parfois, lesquelles sont "humaines" et lesquelles sont "animales".
Sur des barres parallèles, dans une structure évoquant le squelette d’une tortue, des grenouilles s’agitent. Des chants africains s’élèvent. Dans l’eau comme sur terre, la vie grouille, les créatures rampent, grimpent et bondissent, luttent et séduisent. Nous voilà déjà captivés, engagés dans un voyage dont la plupart des stations vont nous émerveiller.
Certains passages sont impressionnants pour des raisons essentiellement techniques. C’est le cas des numéros de monocycles, de perches et de patins à roulettes, tous trois périlleux, à couper le souffle. Mais il y a aussi des passages qui ne trouvent pas leur place dans le déroulement narratif du spectacle, ou alors qui manquent de ressort. C’est le cas du numéro d’anneaux, banal, pour ne pas dire cliché, de la plupart des tableaux à caractère clownesque, et de la performance accessoire des deux jeunes femmes qui font tournoyer sur leurs pieds et leurs mains des carrés de tissu étincelants.
Puis, il y a ces instants magiques où la discipline, l’esthétique et le récit s’épousent. Des moments de pur ravissement, comme le duo de trapèze fixe exécuté par les seuls Québécois du spectacle, Louis-David Simoneau et Rosalie Ducharme. Les figures de leur séduction – appuis, accroches et renversements – sont superbes, humoristiques et sensuelles. Parmi les autres moments de grâce, il y a le grand laboratoire, hommage ludique à la science. Imaginez Darwin, des singes, des éprouvettes musicales et des balles-électrons qui tournoient dans un cône transparent. Visuellement, il s’agit de l’un des passages les plus réussis, avec celui des acrobaties exécutées en apesanteur, sur barres russes, par un groupe d’astronautes dont les costumes sont ni plus ni moins que des oeuvres d’art (chapeau à Kym Barrett).
Certains pourront le lui reprocher, mais Robert Lepage a manifestement décidé avec Totem de respecter une certaine tradition du cirque. On sent sa patte, notamment dans l’utilisation des projections vidéo et de la passerelle hydraulique, mais le metteur en scène s’est surtout attelé à un travail de sens. Des primates à la conquête de l’espace en passant par Bollywood, l’environnement, la science moléculaire, le désir et les autochtonies américaines et européennes, le spectacle expose à un métissage de références peu commun.
Dans cette profusion de signes, sans occulter les entrechoquements, sans estomper les contrastes, Lepage a su faire de l’ordre, de l’alignement, ménager des points d’orgue. Si bien que le spectacle laisse croire qu’il serait possible pour les Terriens de tous les règnes (humain, animal, végétal et minéral) de vivre un jour en harmonie, toutes couleurs unies, dans un seul et même monde. Le finale dansé est une galvanisante incarnation de cette belle utopie.