Buffet chinois, All you can eat : Destination finale
Avec Buffet chinois, All you can eat, Nathalie Boisvert et Jean-Frédéric Messier s’attaquent sans grande conviction à la société nord-américaine.
Il y a des tonnes de bonnes idées dans la plus récente production de la compagnie Momentum. De bonnes idées, surtout dans le texte de Nathalie Boisvert, Buffet chinois, All you can eat, lauréat du prix Gratien-Gélinas en 2007. La pièce est une critique de la société états-unienne, égocentrique, affamée de biens et de services; le portrait d’une espèce qui détruit tout sur son passage. Malheureusement, les idées, toujours à l’avant-plan, toujours explicites, demeurent des thèses, ne sont jamais portées par une férocité digne de ce nom ou alors par une poésie qui saurait exalter.
Rappelons que le metteur en scène de ce spectacle, Jean-Frédéric Messier, est aussi celui de certaines des plus audacieuses réalisations de Momentum: OEstrus, Helter Skelter, Nuits blanches et Le dernier délire permis. Difficile à croire. Messier est aussi celui qui a porté à la scène le Venise-en-Québec d’Olivier Choinière. Un vrai brûlot, un coup de poing identitaire qui a, pour les meilleures raisons, divisé le public et la critique. Comment Messier a-t-il pu se lancer dans le Buffet chinois de Boisvert, très apparenté à l’"épopée touristique" de Choinière tout en étant beaucoup moins percutant? On ne se l’explique pas.
Les quatre membres d’une famille, Ma (Dominique Leduc), Pa (Benoît Dagenais), Tatane (Stéphane Demers) et Choupette (Nathalie Claude), sont, disent-ils, en vacances au bord de la mer. Mais faut-il les croire? La scénographie de Geoff Levine donne plutôt l’impression que le clan s’est réfugié dans la cale d’un navire, ou alors terré dans un bunker situé sous la terre. Ils disent attendre la fin du monde, la "grande vague", quelque chose comme le divertissement suprême, alors qu’on a l’impression qu’ils vivent déjà dans un monde post-apocalyptique. Chose certaine, le gargantuesque buffet chinois qu’était leur vie d’avant a définitivement fermé ses portes.
Choupette, l’adolescente philosophe et rebelle, est seule à faire preuve d’un peu de lucidité dans cette famille de "zoufs". Souffre-douleur, victime de toutes les tortures, elle entraîne la représentation dans le Grand Guignol, avec scie à chaîne et moignons sanguinolents. Vous aurez peut-être compris que le spectacle cultive le mélange des genres. On passe de la comédie musicale au film d’horreur, de la bouffonnerie à la philosophie, des bombardements aux éclats de rire, du diabolique véhicule utilitaire sport aux apparitions mystiques d’un enfant bienveillant.
Bien que cette diversité épouse le discours de l’oeuvre, reflète le caractère excessif et hétéroclite de la culture américaine, on reste de glace devant le comique aussi bien que le tragique, jamais empathique au drame des personnages, à leur quête somme toute stérile. Même s’il s’agit de l’une des plus belles trouvailles du texte, on ne croit pas non plus à la passion dogmatique des parents pour le dictionnaire, cette bible grâce à laquelle ils parviennent à vider les mots de leur sens.
Sans aimer les membres de cette fratrie, on ne parvient pas non plus à les détester. C’est aussi vrai pour l’adolescente, qui devrait pourtant susciter notre adhésion. Sa quête est noble, mais sa détermination est si poussive qu’elle ne saurait nous convaincre de monter aux barricades. Quand la mer finit par les engloutir tous, c’est terrible, mais on est presque soulagé.