Dave St-Pierre : Reprendre son souffle
Scène

Dave St-Pierre : Reprendre son souffle

Dave St-Pierre fait un retour en force sur scène après une greffe des poumons réussie. Il danse en solo dans Bibelot à Tangente, offre un duo à l’occasion du OFF.T.A., un événement dont-il est l’un des porte-parole, et prend part à Tout se pète la gueule, chérie que Frédérick Gravel présente au FTA. Le danseur et chorégraphe nous a reçue chez lui pour parler de tout ça.

La dernière fois qu’on l’a vu sur scène, c’était à Tangente dans Over My Dead Body. Il dansait peu et trimballait avec lui une bouteille d’oxygène. Sa capacité pulmonaire était alors de 25 %. Un an et demi et une greffe de poumons plus tard, Dave St-Pierre a pris 20 livres, il est en pleine santé, heureux d’être en vie et il en profite comme personne: il se paye le plaisir de deux heures d’entraînement et de cinq heures de danse par jour, et il a au moins quatre projets en cours de création. Parmi ceux-ci, il travaille un duo avec Frédéric Tavernini pour la suite très attendue de la trilogie amorcée par La Pornographie des âmes. Il en offre la primeur en introduction à Bibelot, solo qu’il livre, à nouveau à Tangente, du 20 au 30 mai. Le programme le présente comme un objet fragile, inutile et de mauvais goût.

"J’ai écrit ça il y a longtemps, mais ça reste d’actualité parce que j’aurais pu crever sur la table d’opération et ça aurait fait quoi? lance-t-il. Du monde aurait braillé et après, c’est fini. Au fond, à quoi je sers? Je fais des spectacles et il y a des gens qui aiment ça, qui s’y retrouvent. C’est tout. Je ne suis pas en train de changer ce qui se passe sur la planète, je n’ai pas ce pouvoir-là. À la limite, je suis cet objet inutile qui "entertaine" les gens."

St-Pierre l’iconoclaste

Faisant plus que divertir, St-Pierre touche. Parce qu’il va jouer dans des zones sombres et douloureuses de la psyché et de la condition humaines avec un intérêt avéré pour les difficultés relationnelles. C’est autour de l’amour et du sexe que la plupart de ses oeuvres s’articulent. Bibelot n’y échappe pas, même si la greffe du poumon est au coeur de cette nouvelle oeuvre. Car le chorégraphe de 36 ans se réjouit aussi d’avoir retrouvé l’appétit et la vigueur sexuels d’un jeune homme grâce à l’opération qui l’a sauvé d’une mort prochaine pour cause de fibrose kystique. Il revient plusieurs fois sur le sujet en entrevue et confie qu’il célèbre cette nouvelle réalité dans son solo tout comme dans Libido, un trio en cours de création à Rotterdam.

"Je pourrais danser, courir partout comme un malade mental pendant 15 minutes et on dirait que je suis en forme et c’est tout, commente-t-il. Non, ce n’est pas juste ça! Je veux aller plus loin et pousser la réflexion sur ce que c’est d’être vivant et de jouir. Faut que je prenne une coche qui va me satisfaire en tant que créateur, pousser la limite. Et si je me pète la gueule, je me pète la gueule. Mais faut que je touche à des choses que je n’ai pas encore touchées. Je suis à un moment de ma vie où je suis au top sexuellement et il faut que j’en parle."

Après avoir dénudé les danseuses de la compagnie Mandala Sitù dans Warning et les avoir placées en avant-scène pour leur faire écarter les cuisses face au public, il avait averti dans Le Devoir qu’il aimerait aller plus loin et "leur faire entrer un doigt". On imagine donc aisément comment il cherche aujourd’hui à tester les limites du public. Plus que jamais, on recommande aux puritains de ne pas s’y frotter. "Toute cette énergie m’excite et me donne le goût de tout faire, d’aller où j’ai toujours voulu aller en me servant de mon expérience et des outils que j’ai acquis, déclare-t-il. Et c’est quoi la vie? C’est dans une érection, dans l’amour, dans le cul, dans les échanges de fluides…"

Prônant encore la provocation comme une panacée pour frapper les consciences, il se défend fermement de la pratiquer gratuitement. "Je cherche toujours à tourner les choses de façon à ce que les gens se disent "Ostie que c’est beau!", poursuit-il. Il y a vraiment une manière de rendre les trucs provocs touchants et poétiques. C’est vrai que dans Warning, je n’ai peut-être pas tout à fait réussi à twister la patente. Le fait que ce soit une commande était déjà un gros défi et il a fallu créer vite, car nous avions peu de temps. Et ça, ce n’est pas ma force."

St-Pierre le généreux

Du temps pour remodeler la pièce, il en prend ces temps-ci, car il invite Mandala Sitù à présenter Warning, les 28 et 29 mai, après et avant son propre spectacle. Car l’une des qualités de Dave St-Pierre, c’est de donner des coups de pouce aux jeunes talents du secteur de la danse. Il a lancé la carrière de Virginie Brunelle. Voilà qu’il engage la chorégraphe finissante de l’UQAM Sarah-Ève Grant pour faire sa première partie. "Sa pièce est très ludique, presque clownesque, avec des affaires à la limite théâtre pour enfants, commente-t-il. C’est complètement à l’opposé de Virginie Brunelle, mais il y a de quoi qui se passe là. J’ai bien ri. C’est important que je puisse présenter des gens différents."

Dans la même perspective, il offre spontanément d’être porte-parole du OFF.T.A. quand Katya Montaignac, conseillère au Festival, lui en parle. "Le Festival se donne un peu le même mandat que moi: repousser les limites et faire tomber les cloisons entre acteurs, danseurs et performeurs, déclare-t-il. C’est logique pour moi de me servir de ma notoriété pour l’aider." Qui plus est, du 28 au 30 mai, il ajoute à l’affiche un duo avec le jeune acteur Julien Lemire dans le cadre de la carte blanche que lui donne le Festival.

En conversation de trottoir, le chorégraphe-interprète Nicolas Cantin témoigne également de cette générosité dans la manière de travailler. Depuis quelques mois, St-Pierre et lui participent à la création de Tout se pète la gueule, chérie, une oeuvre de Frédérick Gravel que le Festival TransAmériques coproduit et présente du 2 au 4 juin. "J’ai le goût de danser, indique St-Pierre, mais pas pour n’importe qui. J’aime Gravel parce qu’il crée une bonne ambiance de travail et qu’il utilise les forces de tout le monde, comme moi."

"Je m’amuse vraiment beaucoup dans le spectacle, ajoute-t-il. Contrairement à d’habitude, je suis le gars physique de la pièce. Nicolas est le clown, il y a le musicien, Stéphane Boucher, et Fred, c’est la rock star. Il a toujours un peu joué la star et j’aime bien ça chez lui. Du coup, j’ai décidé que moi, je jouais la porn star! Je suis le seul à poil, je me frotte un peu partout, on reconnaît Dave St-Pierre, mais c’est le fun parce que Fred peut vraiment rire de moi. C’est important pour un créateur de savoir rire de ses travers."

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Mâles en peine

Après le franc succès de ses Gravel Works, Frédérick Gravel se met au défi d’une oeuvre d’un tout autre style. Il reste dans une dynamique de concert avec une trame sonore majoritairement faite de chansons pop-folk, compositions originales de Stéphane Boucher, mais l’ambiance est plus à l’intimité et à la vulnérabilité. Sur scène, quatre gars en quête d’identité sont en proie à un désarroi joué sur tous les tons. "Parfois, c’est plus poignant, intense, et parfois, plus comique, précise Gravel. Ça renvoie à une figure mâle pas très précise, en déconstruction et à laquelle tout échappe. Tout se pète la gueule, c’est quand tout s’écroule et que tu cours pour essayer de sauver la situation."

Avec cette création, le chorégraphe se place lui-même en position instable en allant chercher deux personnalités fortes de la scène québécoise: Dave St-Pierre, icône de la chorégraphie trash avec laquelle il a fait ses débuts, et Nicolas Cantin, créateur-performeur amateur d’immobilité et d’insolite. Avec une telle équipe, les idées fusent et la création va bon train. Au moment de l’entrevue, Gravel s’affairait à la tâche difficile d’un tri sélectif pour rendre l’oeuvre cohérente.

"Ces gars-là sont ultra talentueux, curieux et intéressants, y compris Stéphane, et je pense qu’il faut d’abord vraiment triper sur un casting pour partir un projet et savoir que c’est ça ton matériel de base et que tu vas y passer des heures, dit-il. Personne n’est là pour de l’argent: au début, il n’y en avait pas du tout. Et Dave n’a pas besoin de se faire de la pub, pas plus que Nicolas n’a besoin de se trouver de la job d’interprète. Je pense qu’on était tous curieux de voir ce que donnerait l’expérience, comme le seront sans doute les spectateurs."

À lire aussi sur le blogue de Fabienne Cabado: Dave St-Pierre à Tout le monde en parle