L’Amour à trois : Un oiseau rebelle
Avec trois courtes pièces de Larry Tremblay, Francine Alepin, Caroline Binet et Marie-Ève Gagnon font L’Amour à trois, un spectacle captivant et, contre toute attente, cohérent.
On entre toujours avec un grand bonheur dans les univers construits par Larry Tremblay. Avec le Théâtre PàP, qui dévoilera le 30 mai prochain sa relecture "chorale" du Dragonfly of Chicoutimi à l’occasion du Festival TransAmériques, mais aussi avec la compagnie Omnibus, qui avait monté Le Problème avec moi en 2007 et qui propose ces jours-ci L’Amour à trois, le prolifique dramaturge entretient un dialogue artistique des plus fertiles.
L’Amour à trois réunit trois metteures en scène et cinq comédiens autour de trois courtes pièces on ne peut plus distinctes. La première, qu’on a eu la bonne idée de scinder, de manière qu’elle ouvre et referme la soirée, s’intitule La Femme aux peupliers. Markita Boies incarne avec mystère et sensualité celle qui prend un malin plaisir à transformer ses soupirants… en arbres. Francine Alepin a choisi de camper le conte dans les années 50. La musique, les costumes, la gestuelle, les ombres et les lumières évoquent le cinéma d’Hitchcock, composent une irrésistible romance hollywoodienne aux accents expressionnistes.
Le deuxième texte, qu’Éric Jean avait mis en scène au Théâtre d’Aujourd’hui en 2003, s’intitule Cornemuse. Avec ses deux intrigues, imbriquées grâce à un usage ingénieux du téléphone, cette pièce est sans nul doute la plus aboutie, la plus substantielle et la plus captivante du trio. On y aborde, tout naturellement, des sujets aussi divers que le synchronisme, le rasage, le piercing, l’itinérance et la drogue. Christine Beaulieu et Hubert Proulx incarnent avec une fougue peu commune de jeunes amants que la passion dévore, au sens figuré comme au sens propre.
Pour eux, Caroline Binet a imaginé un huis clos frénétique, on ne peut plus contemporain, un face-à-face animal, fusionnel, une quête d’absolu, une fascinante fréquentation des extrêmes. Emporté par la musique électronique, livré aux désirs les plus violents, le tandem court à sa perte. Mais avant que le sang ne coule, il y aura les soubresauts, les élans, les convulsions et les étreintes, une chorégraphie qui évoque celles de Dave St-Pierre et Frédérick Gravel, mais aussi les mots, une langue souveraine, hétérogène et quasi ducharmienne qui galvanise.
La troisième pièce, Tibullus, se déroule dans la Rome antique. Parce qu’elle doute de l’amour de Tibullus, Tryphéma rend visite à OEnothée, un homme qui a choisi de changer de sexe pour connaître la jouissance "supérieure" de la femme. La tête recouverte de latex, risible et pourtant inquiétant, François Papineau incarne avec superbe cette créature plus grande que nature, dotée de pouvoirs surnaturels. Impossible de le quitter des yeux. Marie-Ève Gagnon donne à cette histoire tragique, mythologique, un ton lubrique, délicieusement grotesque, quelque part entre OEdipe et Dynastie.
Réunir ces trois pièces était un pari audacieux. Les trois metteures en scène ont su transformer les contrastes en atouts, miser pleinement sur la multiplicité des registres. Au final, on a le sentiment d’assister à un grand cérémonial en trois mouvements, à une méditation fantasmagorique qui tend à embrasser la vastitude du sentiment amoureux.