Filip Forgeau : Fou du roi
L’auteur, metteur en scène et comédien français Filip Forgeau est de passage chez nous avec Un atoll dans la tête, une exploration littéraire, sonore et visuelle du caractère poétique de la folie.
Un atoll est un récif corallien, une île au coeur de laquelle se trouve un lagon. Un atoll, c’est aussi ce que Zippo, le personnage imaginé et interprété par Filip Forgeau, prétend être. "J’ai tout, là, dans la tête. Aucune barrière. Que du corail. Je suis un atoll. Un atoll permanent, éternel. Dans ma tête, j’enferme un lagon et je communique avec la haute mer." Jolie métaphore, n’est-ce pas? C’est bien connu, la folie et la poésie sont souvent entrelacées. Tout comme le réel et l’imaginaire.
Pour écrire Un atoll dans la tête, un récit publié aux éditions Le bruit des autres et porté à la scène il y a deux ans, Forgeau a bénéficié d’une résidence de trois semaines dans un hôpital psychiatrique de Limoges. Il faut savoir que le directeur artistique de la Compagnie du Désordre n’a jamais hésité à puiser dans la vie quotidienne des exclus, comme les prisonniers ou les habitants des cités, pour nourrir sa création. Il estime que tout est matière à théâtre et que l’inconnu est bien souvent au coin de la rue.
"C’est un programme qui s’appelle Culture à l’hôpital qui m’a permis de m’immerger dans le monde psychiatrique, d’entrer en relation avec les soignants et les patients. De cela est né un texte très imprégné du milieu, mais qui, en même temps, s’en échappe. Sans faire abstraction de l’incarcération, de la folie et de toutes les questions que ça pose, j’ai choisi de partir vers la fiction, la dérision, le rêve, l’onirisme… Ce qui m’intéresse, à vrai dire, c’est la frontière, le moment où les choses basculent."
Une question de point de vue
Au final, l’auteur, metteur en scène et comédien français estime avoir livré "une ode à la poésie et à la fantaisie". Rien à voir avec du théâtre documentaire. "Mes personnages ont souvent une vision un peu décalée du monde dans lequel ils vivent. Zippo, le héros d’Un atoll dans la tête, a une tumeur au cerveau. Pour les médecins, il est fou, dangereux, bon à enfermer. Alors que pour le principal intéressé, cette tumeur n’en est pas une, c’est un atoll, une île qui lui permet de rêver et de s’échapper du monde dont il est prisonnier. Tout est une question de point de vue, en fait. Par les yeux de Zippo, la réalité ne cesse de changer, tout est fantasme, hallucinations." À commencer par les personnages qui l’entourent, interprétés par Soizic Gourvil et Hervé Herpe.
Mais qu’en est-il de la représentation comme telle? "L’univers sonore est omniprésent, explique Forgeau. Il y a des parties chantées. Il s’agit presque de théâtre radiophonique. J’ai été marqué par l’univers sonore de l’hôpital. Dans ces endroits, il n’y a jamais de silence. On entend le bruit des flacons qui s’entrechoquent, des pas, des paroles… Je voulais rendre le caractère mental de ça, l’aspect obsessionnel. Pour y arriver, on se sert de petits micros. Ça nous permet de travailler sur l’intime, sur l’écho, un peu comme au cinéma ou à la radio." Précisons que les lumières sont de François Chaffin, le son, de Fabrice Chaumeil, et la vidéo, de Paul Eguisier.
Pour Forgeau, la posture du fou n’est pas sans évoquer celle de l’artiste, celle du fou du roi. "Mettre les gens dans des cases, les enfermer, même si c’est parfois nécessaire, ça pose de sérieuses questions. Quel endroit reste-t-il pour le rêve et la poésie? La liberté? Incarner quelqu’un d’autre, devenir une couleur, changer de sexe… C’est la définition même de l’artiste, du comédien. C’est de plus en plus difficile dans notre monde de jouer à être autre chose que ce qu’on l’on est. Il y a des codes et des formats à respecter, des conventions." Vous avez dit préoccupant?
Filip Forgeau et le Québec
À la tête de la Compagnie du Désordre depuis 1987, Filip Forgeau est à la fois auteur, metteur en scène, comédien et cinéaste. Depuis quelques années, l’homme contribue au rayonnement des auteurs dramatiques québécois en France: Wajdi Mouawad, Lise Vaillancourt, Evelyne de la Chenelière… Après avoir pris part à une résidence d’écriture au Centre des auteurs dramatiques, en 2009, Forgeau présente enfin son travail chez nous, à l’invitation d’Olivier Kemeid, directeur artistique d’Espace Libre: "… l’auteur s’est aperçu que les deux mondes, celui de l’ordre et celui de la folie, sont aussi poreux que ceux du réel et de l’imaginaire. Est-ce à dire que tout poète est fou? Peut-être pas. Mais tout fou est un homme. C’est assez pour considérer la folie autrement."