Gad Elmaleh : Au sommet
Scène

Gad Elmaleh : Au sommet

Le plus québécois des humoristes français débarque au Centre Bell pour deux soirs avec une nouvelle mouture de son spectacle Papa est en haut. Gad Elmaleh est au sommet, mais garde les deux pieds sur terre. On l’a attrapé lors de son dernier passage à Montréal pour discuter d’américanité et de notoriété, tout simplement.

Personne ne fait de stand-up comique comme Gad Elmaleh. Sa gestuelle burlesque, son sens du rythme et son expressivité caractéristique le placent quelque part entre Jerry Seinfeld (pour la maîtrise du stand-up à l’américaine) et Raymond Devos (pour les qualités de mime et la bouille caractéristique). Pour le reste, aucune comparaison ne saurait lui rendre justice, tant ce Marocain naturalisé français après un passage par le Québec a inventé sa propre forme de stand-up. Puisant dans les traditions française et américaine comme dans les richesses de sa triple nationalité, il n’est pas loin d’être l’humoriste emblématique des multiples visages de la francophonie.

L’autre ingrédient essentiel, c’est cette étonnante impétuosité corporelle; une gestuelle souvent théâtrale qui accompagne naturellement ses paroles et constitue un langage en soi. "Ça vient un peu de mon passé de sketch, dit-il, mais aussi de mon intérêt pour le théâtre et les arts du spectacle en général. Même si on s’ennuie assez souvent au théâtre, il y a aussi des projets fous qui sont très inspirants pour un humoriste comme moi. Le stand-up de manière totalement aseptisée ne m’intéresse pas beaucoup. Je transporte un univers que j’essaie de partager du mieux que je peux. Je ne suis pas juste un mec qui raconte des blagues. Ce serait futile et nul."

Dommage qu’il faille le partager, car au Québec, on aime bien s’approprier Gad Elmaleh. Il a beau n’avoir vécu ici que quelques années à l’aube de l’âge adulte, on se plaît à souligner que c’est chez nous que pour lui tout a commencé. Il ne se fait d’ailleurs jamais prier pour raconter aux journalistes québécois son premier spectacle au Cabaret Juste pour rire en décembre 1994, puis ses inoubliables soirées d’humour au Café Campus. "Bien sûr, le fait d’avoir vécu quelques années au Québec m’a construit comme humoriste. J’ai été dessiné par la France, par le Maroc, par des voyages et des rencontres, mais mes premières rencontres avec les arts et le monde du spectacle ont eu lieu ici. Tant mieux si les Québécois s’approprient un peu Gad Elmaleh, mais il faut partager avec les Français et les Marocains."

L’Amérique de Gad

Il est l’un des rares humoristes français à avoir graduellement laissé tomber les traditionnels sketchs et les imitations pour faire du stand-up comme le font les Américains, en s’adressant directement au spectateur et en laissant une large place à l’improvisation. Ça aussi, ça vient de ses années montréalaises. Conscient de la spécificité québécoise, il assène pourtant le coup fatal. "Je sais que les Québécois n’aiment pas se revendiquer comme des Américains, mais que vous le vouliez ou non, vous êtes des Américains. Je pense que j’ai pris ce qu’il y a de meilleur dans votre américanité. Le Québec garde ses valeurs particulières tout en voyant aussi grand que son voisin. Je crois bien que c’est ce que j’essaie de mettre en application dans tout ce que je fais."

Le dosage, en tout cas, fonctionne à merveille jusqu’à maintenant. Mais saura-t-il séduire les États-Uniens eux-mêmes? Au moment où nous le rencontrons, Elmaleh vient de donner quelques spectacles dans un petit comedy club à New York, et en français s’il vous plaît. "Dans la salle, il y avait des Québécois, des Libanais, des Français. C’est dans ces moments-là qu’on s’aperçoit que la francophonie est disséminée partout dans le monde. C’est énorme. C’est aussi pour ça que j’ai aimé le Québec, parce que ça me donnait une autre vision de la francophonie. Je suis d’ailleurs beaucoup trop francophile pour déménager aux États-Unis ou me mettre à travailler en anglais. Je peux facilement tourner partout dans le monde en français. C’est merveilleux."

De haut en bas

Papa est en haut a déjà été présenté à Montréal en 2007. Mais comme ses spectacles sont toujours en mouvement, la version qui nous sera présentée inclut beaucoup de nouveau matériel, en plus d’une introduction conçue sur mesure pour le public québécois. N’empêche, ce sont encore les thèmes de la paternité et de la filiation qui dominent, dans un esprit très autobiographique.

"Papa est en haut, ça veut aussi dire que papa a du succès, mais qu’un jour il va redescendre. Je parle de la notoriété, de la fragilité de tout ça, et aussi du fait qu’on n’est jamais vraiment arrivé au sommet. Je voulais parler de la notoriété comme d’une expérience humaine et non simplement comme d’une chose acquise ou un accomplissement héroïque. J’essaie de prendre du recul et d’analyser mon vécu en tant que personnage public connu. C’est très intéressant, les phrases que les gens te disent parce que tu es connu – des trucs que jamais on ne te dirait dans un autre contexte. C’est un phénomène que j’essaie de détacher du contexte du boulot et de voir comme une expérience humaine complètement folle. Je pourrais être irrité par le rapport nécessairement très superficiel avec mes fans, mais en fait ça me va, parce que rares sont les personnes qui l’admettent, mais moi, je n’ai pas fait ce métier-là seulement pour être artiste, mais aussi pour être connu. Je voulais être une vedette. J’adore la célébrité."

Celui qui carbure à la "vibration" de la scène et se dit complètement "exalté" par les foules qui l’applaudissent n’en éprouvera pas moins un léger trac avant de fouler les planches du Centre Bell. "Je fais tous les soirs des salles semblables en France, déclare le premier humoriste français à s’offrir le Centre Bell. Mais comme je ne vis pas ici, je sais que ce spectacle sera particulier. C’est une grande salle, c’est le temple du hockey, le temple du sport national, alors c’est vraiment un emblème au Québec. C’est comme un rendez-vous amoureux. J’ai rendez-vous avec une fille magnifique, mais j’ai un peu le trac et j’espère que je serai comme il faut."

ooo

Gad au pays de Tintin

En parlant des États-Unis, il serait difficile de garder sous silence la participation de Gad Elmaleh au prochain film de Steven Spielberg, Tintin: Le Secret de la Licorne. Inspiré de la célèbre bande dessinée, le film a été entièrement tourné avec la technologie de captation de mouvements (motion capture), une expérience particulière pour l’humoriste et comédien, qui en était d’ailleurs à sa première visite sur un plateau hollywoodien. "Il y a des capteurs partout, tu es branché de partout et tu dois jouer avec ça. En même temps, ce qui était fabuleux, c’est qu’on jouait en continuité et c’était donc un peu comme au théâtre. Tourner en anglais, c’était aussi un défi considérable pour moi, sans compter que le texte a changé très souvent en cours de tournage."

Gad Elmaleh, également réalisateur à ses heures, en a profité pour observer le maître en action. "Il arrive à avoir la maîtrise de son plateau sans jamais hausser le ton, sans jamais exiger les choses de manière péremptoire. Il est même très affectueux. Depuis que je l’ai vu travailler, je me dis qu’un réalisateur qui sait profondément ce qu’il veut n’a qu’à le faire savoir et le gens feront tout pour le bien du film, car ils sentent que le chef est convaincu de ses choix. Tu n’as pas besoin de gueuler, pas besoin de t’énerver, pas besoin d’être anxieux. Pour moi, c’est une leçon de cinéma, mais aussi une leçon de vie." La sortie du film est prévue pour la fin 2011. À suivre.