Marie-Thérèse Fortin, Maude Guérin et Guylaine Tremblay : Femmes de choeur
Scène

Marie-Thérèse Fortin, Maude Guérin et Guylaine Tremblay : Femmes de choeur

On discute avec Marie-Thérèse Fortin, Maude Guérin et Guylaine Tremblay, les têtes d’affiche de Belles-Soeurs, comédie musicale de René Richard Cyr et Daniel Bélanger inspirée de la pièce-culte de Michel Tremblay et présentée en ouverture du Carrefour de théâtre.

L’histoire des Belles-Soeurs commence à Montréal le 4 mars 1968 dans les locaux de ce qui s’appelait alors le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Ce jour-là, le Centre d’essai des auteurs dramatiques donne une lecture publique. La deuxième pièce d’un homme dans la vingtaine. L’action se déroule en 1965 dans une cuisine du Plateau-Mont-Royal. Quinze femmes plus grandes que nature, réunies pour coller un million de timbres-primes, ont des échanges truculents, drôles et tragiques. Éminemment subversive, la pièce de Michel Tremblay, créée le 28 août de la même année, au Théâtre du Rideau Vert, dans une mise en scène d’André Brassard, a révolutionné le Québec, sa société et son théâtre.

Ce n’est pas d’hier que René Richard Cyr se passionne pour l’univers de Tremblay. Après avoir monté Bonjour, là, bonjour, En pièces détachées, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Le vrai monde? et Bonbons assortis, mais aussi après avoir joué Hosanna, le metteur en scène procède, avec le musicien Daniel Bélanger, à la recréation des mythiques Belles-Soeurs. La pièce, qui a été jouée dans plus de 30 langues, sera pour la toute première fois transformée en comédie musicale. Pour célébrer le quarantième anniversaire de la lecture de l’oeuvre, Marie-Thérèse Fortin ne pouvait rêver mieux.

"Déjà, sur papier, c’était une maudite bonne idée. Mais ça aurait pu ne pas fonctionner. Quand j’ai entendu les sept premières tounes, j’ai su que ça y était. Il fallait le faire! Malgré et peut-être même justement parce qu’il y avait une dimension folle à tout ça. C’est quand même 19 personnes sur scène. Heureusement, une constellation d’événements ont rendu ça possible: la présence du Centre culturel de Joliette comme coproducteur, mais aussi la collaboration de Loto-Québec. C’est certain que dans l’histoire du Théâtre d’Aujourd’hui, ça va être à marquer d’une pierre blanche."

Quelque chose d’important

À Marie-Thérèse Fortin, Guylaine Tremblay et Maude Guérin, René Richard Cyr a confié les rôles de Germaine, Rose et Pierrette, les trois soeurs Guérin, le triumvirat qui est au coeur de l’oeuvre. Pour Guylaine Tremblay, il est impossible de faire abstraction des femmes qui ont donné naissance aux Belles-Soeurs. "J’ai encore en tête les photos de la première lecture. Tu vois Denise Filiatrault, Janine Sutto, Denise Proulx… en travail, avec les textes. Ça m’a toujours beaucoup touchée. Parce que tu le vois dans la face des filles qu’elles savent qu’elles sont en train de faire quelque chose d’important. Ça transparaît dans leurs visages. C’est curieux, mais 40 ans plus tard, j’ai le même sentiment. C’est-à-dire qu’en faisant ça dans cette forme-là, aujourd’hui, en comédie musicale, j’ai l’impression de participer à quelque chose d’important moi aussi."

Maude Guérin avoue qu’elle a le sentiment de travailler sur une création, "mais à partir de l’un des plus grands textes qui aient été écrits au Québec". "C’est extrêmement touchant de reprendre cette pièce fondatrice, ajoute Fortin. C’est un véritable tournant dans l’histoire de la dramaturgie québécoise, une affirmation. En travaillant, on se rend compte de tout le chemin qui a été parcouru, non seulement en ce qui concerne le théâtre, mais aussi la société." "Et de celui qui n’a pas encore été fait", précise Guylaine Tremblay.

La pièce dépeint en effet une époque où plusieurs femmes étaient maintenues dans la misère intellectuelle, sexuelle et économique, soumises aux conventions, aux hommes, à la religion… Guylaine Tremblay: "Aucune d’entre elles n’a la vie qu’elle voudrait avoir. Elles n’ont pas de choix. Elles sont tout le temps dans des positions de servitude. Moi, ça me ramène beaucoup à ma mère et à mes tantes. Je trouve ça très émouvant. En plus, aussi vives d’esprit, aussi fortes soient-elles, ces femmes ne savent pas que la société est en train de changer."

"On a tendance à oublier, lance Fortin, toutes les transformations que ces gens-là ont eu à absorber en très peu de temps. C’est énorme. Je ne sais pas si on va avoir à en vivre autant. C’est pour ça que je pense que c’est important que les jeunes voient le spectacle, qu’ils se confrontent à cette réalité qui n’est pas très loin derrière nous." "Qu’ils sachent d’où on vient", ajoute Guérin. "Qu’ils sentent que les acquis ne sont pas si solides qu’ils le croient, renchérit Guylaine Tremblay. Ça fait juste 40 ans. Historiquement, c’est rien. Les jeunes femmes qui disent ne pas avoir besoin de se battre, d’être féministes, de réclamer l’équité; ce n’est pas vrai! Tous les acquis sociaux restent fragiles. Surtout maintenant."

Pas difficile aussi de faire des parallèles entre cette galerie de femmes s’imaginant qu’un million de timbres-primes va changer leur vie et notre époque consumériste. "Ce serait fou de penser que la pièce n’a pas de résonances aujourd’hui, estime Marie-Thérèse Fortin. On vit dans la surconsommation. On cultive le mythe que le matériel peut nous apporter le bonheur. Il y a plein de monde qui accumule des points de manière frénétique pour avoir une machine à café. Le taux d’endettement des familles de la classe moyenne est alarmant."

Et la musique dans tout ça

Le texte des Belles-Soeurs est réputé pour sa dimension musicale. De là à s’en servir comme d’une partition, il n’y a qu’un pas que René Richard Cyr et Daniel Bélanger ont osé franchir. À quoi peut bien ressembler cette musique? Guylaine Tremblay: "Au lieu de refermer la pièce sur une époque très précise, la musique ouvre, elle donne une dimension intemporelle. Les personnages deviennent de plus en plus historiques, mais dans cette nouvelle version, ils sont connectés au présent, ils existent ici et maintenant. Si j’avais des amis qui venaient d’arriver au Québec, je leur dirais de venir voir ça. C’est nous!"

Marie-Thérèse Fortin nous en apprend un peu plus sur le style musical. "Parce qu’il y a beaucoup de scènes de choeur dans la pièce, Bélanger s’est inspiré des musiques qui se prêtent aux chorales: du gospel, du Motown… Des genres qui sont très près du peuple, des mouvements qui sont nés dans les communautés, dans les ruelles. Ça colle aux personnages, mais aussi parfaitement à la rythmique Tremblay, à sa langue percussive. C’est super accrocheur. C’est comme si la musique venait élever les personnages, en faire des archétypes, qu’elle venait dire à quel point la pièce a été importante."

Selon Maude Guérin, les airs sont particulièrement entêtants. "C’est sûr que les gens vont avoir les tounes dans la tête en sortant. Je pense même qu’ils vont revenir voir le spectacle. C’est un gros happening." "C’est incroyable, l’énergie que ça dégage, ce show-là, ajoute Guylaine Tremblay. Quand je sors d’une répétition, je suis tellement énergisée." "On ne sait pas comment le monde va recevoir ça, avoue Fortin, mais nous, on a vraiment du fun!"

Du théâtre avant tout

Les trois comédiennes tiennent à préciser qu’il s’agit de théâtre musical, que c’est d’abord et avant tout les personnages que l’on sert. "René Richard a choisi de prendre des actrices et non des chanteuses, explique Maude Guérin. Comme il l’a fait pour Les Parapluies de Cherbourg, L’Homme de la Mancha et Frères de sang. Il aurait pu aller chercher des voix extraordinaires mais il a préféré des actrices qui interprètent à travers les chansons." "Ce sont les personnages qui chantent, ajoute Fortin. C’est plus proche de L’Opéra de quat’sous que de My Fair Lady. Il n’y a pas de numbers. Pas de ruptures. Les tounes découlent de ce qui se passe dans le jeu. C’est comme si les âmes de ces femmes se mettaient à chanter."

Après avoir monté Les Misérables, Notre-Dame de Paris et Les Dix Commandements, serions-nous en train de commencer à transposer nos propres mythes, nos propres histoires en comédies musicales? C’est le cas avec Belles-Soeurs, mais aussi avec Le Blues d’la Métropole, autour des chansons de Beau Dommage, Les Filles de Caleb, d’après les romans d’Arlette Cousture, et Cordélia, un enthousiasmant projet de Sylvain Scott et Benoît Sarrasin. "Il était temps!" lancent les trois comédiennes.

Aussi sur scène avec nos charmantes triplettes du Plateau-Mont-Royal, on trouvera les comédiennes Christiane Proulx, Suzanne Lemoine, Dominique Quesnel, Janine Sutto, Hélène Major, Kathleen Fortin, Michelle Labonté, Monique Richard, Sylvie Ferlatte, Maude Laperrière, Marie-Evelyne Baribeau et Édith Arvisais, et les musiciens Stéphane Aubin, Martin Marcotte, François Marion et Serge Arsenault.

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Ça change pas le monde, sauf que…

Que Loto-Québec soit commanditaire d’un spectacle qui met en scène le mirage que peuvent représenter les concours, quelque chose comme le syndrome Lavigueur, cela fait tout de même sourire. Les personnages vivent ni plus ni moins sur une illusion de bonheur. Elles pensent que le blender ou la tapisserie va changer leur vie. "Les gens de Loto-Québec n’avaient pas de problèmes avec ça, lance la directrice du Théâtre d’Aujourd’hui. Personnellement, je trouve ça bien qu’un événement comme celui-là soit soutenu par Loto-Québec, que le théâtre aussi puisse bénéficier de ça, que ce ne soit pas toujours des spectacles à grand déploiement, cirque et autres. Après tout, Loto-Québec est aussi une société d’État." Profitons-en pour mentionner que l’exposition Au coeur des Belles-Soeurs sera présentée du 15 juin au 6 septembre à l’Espace Création Loto-Québec (500, rue Sherbrooke Ouest).