Robert Swinston : Moment des adieux
Le Festival TransAmériques présente, en exclusivité canadienne, Nearly 90², la dernière oeuvre de l’immense Merce Cunningham. Entrevue avec celui qui fut l’assistant du regretté chorégraphe, Robert Swinston.
Quelques semaines encore avant son décès, survenu en juillet 2009, Merce Cunningham enseignait dans ses studios à New York. Trois mois plus tôt, il fêtait ses 92 ans avec la première de Nearly Ninety à la Brooklyn Academy of Music. Présentée avec entracte, la pièce durait près de 90 minutes, d’où son titre. Sur scène, s’imposait alors une scénographie monumentale de l’architecte italienne Benedetta Tagliabue, reflet des collaborations que le chorégraphe a multipliées depuis les années 50 avec des plasticiens de tous ordres. Trop grand, trop lourd, trop cher à faire voyager, ce décor métallique a disparu, de même que les projections vidéo qui l’animaient, au profit d’une création lumière de Christine Shallenberg qui transforme le fond de scène en aquarelle aux paysages changeants. La chorégraphie a aussi subi un régime.
"Il n’y a pas de grands changements par rapport à la première version, Merce a juste fait quelques coupures", assure Robert Swinston, ex-danseur de la Merce Cunningham Dance Company (MCDC) devenu assistant du chorégraphe en 1992. D’une durée approximative de 80 minutes, la pièce est désormais présentée d’une traite. "Un des trois éléments de la musique a également disparu, parce que le groupe Sonic Youth n’était pas disponible pour une tournée, ajoute-t-il. Ne restent que les compositions de John Paul Jones, l’ancien batteur de Led Zeppelin, et de Takehisa Kosugi, qui est notre directeur musical depuis 1997."
Nearly 90² illustre donc à merveille l’idée d’autonomie totale de la musique, de la scénographie et de la danse que Cunningham a toujours prônée, osant, par exemple, attendre le moment d’entrer sur scène pour assembler chorégraphie et composition musicale, et opérant par cette approche une révolution dans l’univers de la danse moderne. Défricheur de nouveaux territoires, il fut aussi l’un des premiers à s’intéresser aux technologies de l’image et de l’informatique. En 1991, il mettait au point le logiciel Life Forms, qui allait devenir DanceForms et présider dès lors à l’élaboration de toutes ses chorégraphies. Ainsi parvint-il à créer des combinaisons gestuelles inattendues requérant une grande maîtrise technique de la part des danseurs et une succession de figures géométriques sans cesse renouvelées dans l’espace.
"Ce que j’aime dans cette pièce, c’est qu’elle est très sensible, même si c’est vraiment de la danse pure, commente Swinston. Ce que je trouve remarquable dans le travail de Merce, c’est que, quels que soient les types de mouvements qu’il crée, ils sont intéressants à regarder. Ils ont une qualité sculpturale et sont d’une grande variété qu’on ne voit pas chez d’autres chorégraphes. Ce qui rend cette pièce unique, c’est la façon dont il l’a structurée avec un développement délibérément très lent au départ avec, ensuite, une accélération des mouvements et des dynamiques. Il suffit de la regarder et elle nous touche."
Cette escale à Montréal est un moment d’autant plus historique que le Legacy Plan élaboré avant la mort de Cunningham pour préserver son héritage artistique prévoit la fermeture de la MCDC à l’issue de la tournée de Nearly 90².