Roger Bernat : Mouvements de masse
Le metteur en scène catalan Roger Bernat entraîne le public du Festival TransAmériques dans une performance participative déjà présentée dans de nombreux festivals: Domaine public.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Roger Bernat aime redéfinir les limites du théâtre. Après avoir fait monter sur scène des chauffeurs de taxi, des adolescents et des immigrants, le metteur en scène choisit de descendre dans la rue et de transformer "monsieur Tout-le-monde" en acteur en lui faisant vivre une expérience multidimensionnelle hors des éléments habituels du cadre théâtral: comédiens et texte dramatique.
La performance comporte trois parties: une sorte de jeu de société durant lequel les participants, munis de casques d’écoute, sont invités à répondre à des questions; un jeu de rôle dans lequel ils deviennent policiers, prisonniers ou personnel de la Croix-Rouge; et une dernière partie où ils observent sur un écran des fac-similés d’eux-mêmes. "On dit que le théâtre est l’unique lieu de confrontation du public avec lui-même comme collectif, explique Bernat. C’est ce que vise Domaine public. Je construis des situations, un dispositif que le public utilise comme il le veut."
Éminemment ludique, oscillant entre gravité et légèreté, l’expérience s’avère également déstabilisante et provoque, selon son instigateur, des réactions diverses allant du rire aux larmes, littéralement. Mais ce qui le frappe et le trouble, c’est la similarité des réponses, où que l’on se trouve sur la planète. "Nos relations deviennent de plus en plus complexes, mais nos identités deviennent de plus en plus semblables. Et pourtant, on ne veut pas le voir, on joue à être différents. Le spectacle montre qu’on n’est pas aussi différent des autres qu’on le pense, pas tellement spécial en fin de compte."
À chaque question posée aux participants est associée une consigne corporelle: mettez-vous à droite, levez le bras, placez les mains sur la tête, etc. Les participants se divisent ainsi en groupes au gré de leurs réponses. Des regards s’échangent, une connivence se crée. "Quand il est assis dans le noir, le public participe déjà activement au spectacle. La différence est que, dans Domaine public, on utilise le corps. Cela nous rend moins aptes à juger, mais plus capables de nous reconnaître dans le groupe." On imagine la tête des passants découvrant cette étrange chorégraphie!
Pour pouvoir se promener ainsi de pays en pays, la performance subit chaque fois une adaptation majeure: "Les questions que l’on pose sont très personnelles et notre personne est très fortement attachée à notre milieu. Pour le FTA, nous avons retravaillé le texte avec plusieurs Montréalais(es)." On se fera ainsi poser des questions du type: "Habitez-vous à l’est du boulevard Saint-Laurent? Gagnez-vous plus de 20 000 dollars par an? Avez-vous vu ou avez-vous des tickets pour voir le spectacle du Cirque du Soleil sous le chapiteau du Vieux-Port de Montréal?", mais aussi des questions plus personnelles – voire gênantes – comme "Avez-vous déjà volé au supermarché?" ou "Avez-vous déjà suivi un inconnu dans la rue?". À chacun de décider s’il sera ou non honnête dans ses réponses!