Darryl A. Hoskins : Anticonformiste
La création interdisciplinaire Portrait est sans doute l’oeuvre la plus underground de la programmation danse du Festival TransAmériques. Elle est signée Darryl A. Hoskins, un Torontois qui n’a pas la langue dans sa poche.
Élevé au sein d’une famille catholique et puritaine du Nord de l’Ontario, Darryl A. Hoskins découvre la danse à l’adolescence, à l’occasion du passage de la Compagnie Eddy Toussaint. La sensualité et l’expressivité déployées sur scène offrent un tel contraste avec sa réalité quotidienne qu’il y voit une prise de position politique et décide de devenir danseur. Il s’illustrera au sein de diverses compagnies, dont le Toronto Dance Theatre, jusqu’à ce que, en 2004, une blessure l’amène à se tourner vers la chorégraphie.
"J’imaginais que la danse était la forme d’expression la plus intégrale, mais j’ai trouvé dans les cours un grand conformisme au regard de qui tu es, comment tu es, ce que tu fais, etc., commente le chorégraphe. Je retrouve ça aussi dans bien des oeuvres où la perspective sur la danse est pauvre et très conservatrice. Du coup, c’est vraiment important pour moi de montrer sur scène des individus, des choses personnelles, plutôt que des lieux communs. C’est d’autant plus important de savoir pourquoi on crée que les conditions économiques pour les artistes en danse sont très mauvaises."
Dans chacune de ses oeuvres, Hoskins remet en jeu sa conception du corps et de la création, portant sans cesse un commentaire sur la danse à travers ses danseurs. Ainsi, dans Portrait, il s’intéresse aux sources d’inspiration de l’artiste et les met en scène dans des vignettes des plus éclectiques. Il s’est aussi penché sur la question des stéréotypes sexuels dans des oeuvres qui ont quelque peu défrayé la chronique. Dans une province dont il critique vertement l’apathie intellectuelle et le désintérêt pour la culture, il fait figure de trublion. Et si de grandes institutions étrangères n’hésitent pas à lui passer commande, il reste confiné à la scène alternative torontoise.
"Il y a juste quatre chorégraphes contemporains en ville, les autres font de la danse moderne, affirme-t-il. Moi, j’arrive à un stade de ma carrière où je travaille avec des artistes exceptionnels qui ne sont pas diffusés à la mesure de leur talent. Danielle Baskerville, par exemple, qui danse dans Portrait, est un trésor national et c’est une tragédie qu’elle ne soit pas plus vue." Le compositeur Gilles Goyette et le cinéaste Nico Stagias font partie des collaborateurs dont Hoskins s’entoure au sein du Dietrich Group, plateforme d’échanges interactifs et de créations interdisciplinaires qu’il a fondée en 2008 et dont il est le directeur artistique.
À l’instar de toutes les créations du groupe, Portrait témoigne d’idées conceptuelles visuelles dans la scénographie et la mise en espace de la danse et de l’image. Il faut dire que le chorégraphe s’adonne aussi à la peinture et à la création d’objets en bois. "À l’époque où j’étais danseur, j’ai fabriqué des autels dans des boîtes avec des objets qui avaient du sens pour moi, raconte-t-il. C’étaient presque des petites scènes et ça a affecté profondément ma façon de concevoir la scène et de créer avec elle. Il y a toujours toutes sortes d’objets que je cherche à intégrer." Une oeuvre intrigante par un artiste aussi engageant qu’engagé.